Une interview sur France 24 avec Sandrine Treiner

… une interview de Tobie Nathan le 20 juin 2010

Dans cet entretien, notre invité est l’écrivain et diplomate Tobie Nathan. L’auteur d’une vingtaine d’ouvrages de psychologie et d’anthropologie nous parle de son dernier roman: « Qui a tué Arlozoroff ? ».

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Un portrait dans Le Figaro… par Astrid de Larminat


Dans son roman, Tobie Nathan enquête sur Arlozoroff, dirigeant sioniste assassiné en 1933, qui avait été l’amant de Magda Goebbels, épouse du ministre de Hitler. (Jean-Christophe Marmara/Le Figaro)

Tobie Nathan est une sorte de savant fou entré en littérature pour explorer dans ses romans certaines de ses hypothèses que la Faculté regarde d’un mauvais œil. Connu en France pour avoir créé le premier service d’ethnopsychiatrie, il a entrepris de soigner les migrants à l’aide des méthodes de guérison utilisées dans leur culture d’origine des sociétés où l’on croit que la maladie psychique est provoquée par des esprits malins qu’il faut neutraliser par des rituels magiques. Pendant vingt ans, il a exercé en Seine-Saint-Denis, à l’hôpital Avicenne puis à l’université Paris-VIII où il était professeur de psychologie clinique et pathologique. Il a fait des émules, a travaillé auprès des tribunaux… lire la suite

Une critique en anglais de « Qui a tué Arlozoroff ? »

The Cairo-born French Jewish ethnopsychiatrist Tobie Nathan is a man of many talents. A prolific novelist as well as teacher, Nathan recently published “My Patient, Sigmund Freud” with Les Éditions Perrin.

Nathan’s new novel, “Who Killed Arlozoroff?” from Les Éditions Grasset reveals other fields of knowledge.

une critique en anglais par Benjamin Ivry .

Publié sur le blog culturel du quotidien en ligne « The Jewish Daily — Forward ».

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Le culte au quiconque

Les malades m’avaient prévenu de longue date de cette religion que l’on était en train d’imposer, et tout particulièrement en France, le « culte au quiconque ». Je me souviens de l’un de mes premiers étonnements lorsque j’ai commencé à travailler à l’hôpital psychiatrique, il y a maintenant bientôt 40 ans. Vous ne pouvez pas soupçonner le nombre de malades qui m’ont fait la même remarque. Au bout d’un certain temps, lorsqu’ils s’étaient habitués à ma présence — ce pouvait être au bout de cinq minutes ou bien de plusieurs semaines, ils me demandaient : « Dites-moi, il y a quelque chose qui me dérange ici… pourquoi m’a-t-on enfermé avec tous ces fous ? » L’on pourrait penser que ce type d’énoncé est une parole démente sortie d’une nouvelle d’Edgar Allan Poe. En vérité, il s’agit d’un cri de révolte contre le culte au quiconque… Je me souviens que nous autres, thérapeutes, en ce temps-là, nous qui avions une éducation psychologique, une formation psychanalytique, nous souriions par devers nous, pensant, ou même murmurant : « Il nie sa maladie ». Mais il ne s’agissait nullement de cela ! Ce que le malade contestait, ce contre quoi il se révoltait, c’était d’avoir été fourré d’office dans une catégorie, un groupe — d’avoir été traité en « quiconque ». Ces gens avec qui il avait été hospitalisé, ce n’étaient pas ses amis, pas ses parents. Il ne comprenait pas pourquoi on le considérait comme étant un de leurs identiques. Il acceptait même de penser qu’il était psychotique. « On peut naître ainsi ou peut-être même le devenir ; mais ce n’est pas une raison d’être transformé en quiconque ». En ce temps, les patients étaient les seuls à percevoir ce diktat sémantique imposé par l’institution, par l’ambiance, accepté par les thérapeutes ; les seuls à le refuser, à se révolter…

« Ce n’est pas que je suis « quelqu’un », s’écriaient-ils en silence dans leur révolte, mais je ne suis pas « n’importe qui » !

Comme toute religion, le « culte au quiconque » irrigue et fabrique la vie sociale. Il donne lieu à ces grands rituels publics que sont devenus les procès en cour d’assises ; il fixe les normes des comportements sociaux…

« Elle a tué son bébé âgé de 16 mois en l’étouffant dans la salle de bains »… En quoi une telle information me concerne-t-elle ? Pour quelle raison, chaque soir, je dois écouter une série de nouvelles ainsi calibrées pour laisser émerger un quiconque. Parce que la conclusion s’imposera d’elle-même. La voisine que vous croisez dans votre escalier chaque matin, celle que vous saluez à la boulangerie ou dont le visage familier apparaît derrière le journal dans le métro… cette voisine pourrait se transformer en une furie infanticide. Cette information m’est adressée car cette femme pourrait être : « n’importe qui »…

L’information n’est pas une invitation à connaître le monde, mais une fabrique quotidienne d’une divinité impalpable à qui vouer un culte : le quiconque.

Comme toute religion, ce culte est entretenu de manière très active par des prêtres, des adeptes et des sympathisants. Je suis persuadé qu’un jour, l’on finira même par représenter son dieu ; l’on finira par ériger une statue représentant « N’importe qui »…

Je me sens viscéralement opposé à cette religion. Il me semble que, plus que tout autre, elle vient en contradiction avec l’une des nécessités vitales des êtres humains : la possession d’une « âme ».

TN