Villes-fantômes

Qu’est-ce qu’une ville fantôme ?

— Fondation

 On sait que la fondation des villages et des villes a donné lieu dans une grande partie du monde à des élaborations mythologiques et rituelles. Un magnifique ouvrage reprenait il y a une vingtaine d’années une série de mythes et de rites de fondation. C’était le livre dirigé par Marcel Détienne, Tracés de Fondation, avec des exemples grecs et romains, bien sûr, mais aussi africains, indiens et chinois. On pourrait résumer en quelques mots l’implicite de ces traditions : les villes ont avant tout été un lieu de rendez-vous entre les humains et les non-humains — en général des dieux, mais parfois des êtres mythiques, chtoniens, des propriétaires de la terre, comme les dragons grecs ou les esprits de la brousse africains.

 Je prendrai pour exemple le noyau de Porto Novo qu’il m’a été donné de visiter, dans le quartier nommé Akron. On trouve une sorte de nombril de pierre recouvert de sable et on vous raconte volontiers que si la ville existe, c’est qu’il existe bien des choses, des êtres et des restes sous la pierre.

Ville-fantôme bâtie en Angola par les Chinois

Il est évident que si la ville-fantôme d’Angola n’attire pas les Angolais, c’est en premier lieu à cause du prix des appartements, mais on peut aussi penser qu’il y a quelque chose d’incompréhensible dans le fait de bâtir une ville sans rien dessous — sans victime sacrificielle, sans pierre de fondation, sans un peu de terre rapportée d’une ville mère dont la nouvelle est une réédition ou un rappel… Voir ici l’article du Monde du 4 juillet 2012

Un autre exemple béninois… Le mot Dahomey qui, selon les récits qui circulent au Bénin, signifie « dans le ventre », puisque la première pierre aurait été posée par le roi-fondateur dans le ventre de son frère-ennemi, une fois qu’il l’aurait abattu. « Dans son ventre »… Il l’aurait bâtie là, dans son ventre — Dahomey !

— Habitudes culturelles chinoises et aussi japonaises.

Il est par ailleurs un singulier malentendu entre les habitudes occidentales et les habitudes extrême-orientales autour du patrimoine. Nous avons — nous l’avons de plus en plus en France — le goût des vielles pierres et l’illusion de l’authenticité. Est d’autant plus authentique ce que l’on a restauré, croit-on, à l’image de ce qu’il était au moment de sa création. Mais en agissant ainsi, on dénoyaute les édifices. En devenant objets artistiques, monuments historiques,  ils perdent un peu de leur fonction et sont par exemple moins sacrés ou moins solennels… Ce n’est pas le cas des cultures d’extrême orient. Déjà Charles Malamoud dans le livre dirigé par Détienne, notait-il à l’époque que l’Inde védique refusait que la rencontre entre les dieux et les hommes se situe en des lieux fixes. C’est que le monde védique, à la différence de l’autre partie du monde, l’Afrique, l’Europe, répugne à situer précisément l’origine.

 Est-ce d’un principe comparable que Chinois, mais aussi Japonais, considérant qu’un temple est un objet d’usage et non pas un objet artistique, en reconstruisent un neuf à chaque fois qu’ils constatent que l’ancien vieillit et s’abîme.

S’agit-il du même malentendu lorsque les Chinois bâtissent ainsi des villes à partir de rien, dans des lieux qui n’ont pas été désignés comme lieux de rendez-vous, ni par la divination, ni par le savoir des prêtres ou des puissants, dans des lieux qui n’ont été ni consacrés ni identifiés ?

— La mode des villes-copies de villes européennes en Chine

Dans un quartier de la ville de Hangzhou en Chine, une copie à l’échelle 1/3 de la Tour Eiffel

Ce phénomène est sans doute à rapprocher d’une mode singulière récemment apparue en Chine, la copie à l’identique de villes européennes. Le parti et les grandes entreprises de construction bâtissent ex nihilo, en Chine des reproductions de villages autrichiens ou de villes anglaises. La reproduction de la ville suisse d’Interlaken a provoqué quelqu’émotion très récemment. La construction de cette ville a coûté près de 8 milliards de dollars, mais elle remporte beaucoup de succès puisqu’elle accueille 1 million de touristes par an. Une émission de télé en a récemment fait état — saisissant !

TN

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