• La psychanalyse est-elle une « dangerous method » ?

À propos du film de David Cornemberg, A dangerous method

A dangerous method, un film de David Cronemberg

Keira Knightley, si belle et créative dans Duchess, défigurée par une hystérie de cinéma dont on doute qu’elle ait jamais existé, Michael Fassbender, retenu, étouffé, en une caricature de suisse allemand et Viggo Mortensen en un Freud, certes physiquement convaincant, mais tellement éloigné de la fourberie subtile du véritable… voilà donc les trois protagonistes d’une sorte de pièce de boulevard mise en scène par David Cronemberg dans son dernier film au titre évocateur : A dangerous method.

On connaît l’histoire ; elle a été évoquée à plusieurs reprises, dans les correspondances entre Freud et Jung dont une partie a été publiée sous le titre Sabina Spielrein entre Freud et Jung, élaborée dans le film documentaire d’Elisabeth Marton, Mon nom était Sabina Spielrein (2003), portée sur les planches dans une pièce de théâtre de Christopher Hampton aux Etats Unis, The talking cure — pièce reprise en France en 2009 sous le titre Parole et guérison.

L’histoire commence au tout début des années 1900. Jung ne se trouve pas encore sous la férule de Freud qu’il ne connaît alors qu’à travers son Interprétation des rêves. Il reçoit à la clinique du Burghözli où il travaille comme psychiatre, une toute jeune patiente de 19 ans, juive russe, d’une famille très riche et la traite selon la méthode psychanalytique à laquelle il n’a pas encore été formé. Il se produit alors une déflagration — peut-être l’expression d’un choc culturel ? Jung, fils de pasteur, raidi de morale protestante est emporté par l’ardeur débordante de la russe enflammée. Il se noue entre le psychiatre et sa jeune patiente une relation passionnément sexuelle pour l’un, éperdument amoureuse pour l’autre. Au regard de l’histoire, cette passion s’est finalement révélée décisive pour les deux, comme s’ils avaient spontanément inventé une sorte d’initiation mutuelle. Sabina Spielrein s’est extirpée de sa névrose de manière étonnamment rapide et Jung en a gardé un goût durable pour la bigamie puisque l’on sait qu’il a ensuite installé sa maîtresse d’alors, Toni Wolf, une autre patiente, dans une aile de sa maison et qu’il la présentait comme sa seconde épouse.

Lorsque Jung, dévoré de culpabilité, décide de mettre fin à leur relation, Sabina — pour se venger ?… pour l’en empêcher ?… — écrit à Freud pour lui demander conseil. Voilà donc le cadre de l’intrigue !

Les images du film sont d’une beauté stupéfiante, donnant envie de partir passer un été en Suisse, sur les bords du lac de Zurich, où l’on sait que le silence et l’univers ouaté ont permis aux plus grands révolutionnaires — Lénine ou Tristan Tzara, par exemple — de développer leurs pensées les plus extrémistes. Mais le scénario reste ce qu’il était, une pièce de théâtre un peu convenue, un boulevard sans humour, où l’adultère est une faute morale majeure qui peut décider d’un destin. Le scénario pêche par une autre faiblesse. Il fait crédit aux psychanalystes des pensées théoriques qu’ils ont présentées dans leurs études de cas, comme s’ils n’avaient aucune arrière-pensée. Ayant quelque expérience clinique, on a peine à croire que la tragédie mortifiante de Sabina ait été causée par les fessées de son père et que les intérêts de Freud ou de Jung étaient réellement concentrés sur des pensées infantiles. On sait que Freud se rêvait en conquérant et bâtissait délibérément le mouvement psychanalytique à l’exemple d’un parti politique, avec des sections allemande, hongroise, anglaise, américaine… et même française. Sabina Spielrein a forcé son entrée dans ce milieu, alors exclusivement constitué d’hommes — sans doute de manière quelque peu scandaleuse — mais n’est-ce pas toujours le cas lorsqu’un(e) jeune inconnu(e) joue des coudes pour occuper une place ? Car Sabina s’est finalement imposée comme représentante russe du mouvement psychanalytique et l’est restée jusqu’à l’interdiction de la psychanalyse en Union soviétique, en 1933. Telle était sans doute l’âme de sa névrose, celle d’une conquérante, elle aussi, et non pas seulement une demeurée du stade anal.

On eût aimé une problématisation un peu plus mature de la transgression sexuelle du psychanalyste Jung. Une étude américaine évalue à au moins 10% le nombre de thérapeutes qui passent sexuellement à l’acte avec leurs patientes. Ce n’est donc pas un phénomène exceptionnel, seulement dû à la jeunesse ou à la passion intellectuelle. On eût aimé aussi une compréhension des enjeux politiques et culturels de la psychanalyse, en voie de devenir l’alternative à la religion des nantis. Le passage malheureusement trop rapide d’Otto Gross, psychanalyste de génie, toxicomane et anarchiste, incarné par un Vincent Cassel au mieux de sa forme, donne l’idée de ce qu’aurait alors pu être un film sur la politique de la psychanalyse.

David Cronemberg

Certes l’occasion était belle pour Cronemberg de s’abandonner à ses thèmes favoris, l’impossibilité de résister aux pulsions sexuelles, les corps martyrisés, voire mutilés — mais justement, on sent trop qu’il tire l’histoire du côté  de ses obsessions et néglige de ce fait l’importance d’un thème aveuglant, la place d’une jeune femme dans la construction d’un mouvement politique majeur.

Un film paradoxal où la modernité d’une technique cinématographique parfaite sert d’écrin chatoyant à une psychanalyse bavarde et quelque peu rétro.

TN   

PS — Ah ! J’allais oublier… On trouve la véritable histoire, avec des personnages de chair et de feu dans le roman « Mon patient Sigmund Freud« . Coup de chance, il vient d’être publié en poche, en « Points Seuil »

4 réflexions sur “• La psychanalyse est-elle une « dangerous method » ?

  1. Merci Tobie pour avoir denonce l’etroitesse de ce film reduit a un paysage denue de dimension sociologique/politique .
    A ma grande desolation l’Amerique baigne dans l’ esoterisme encore a ce jour !
    A quand un colloque a LA , afin de reajuster le tir ?
    As ever Vanessa De Loya

  2. le film ne parait sur les ecrans de cinema que vers fin janvier en Israel et je suis impatient de le voir malgre les critiques emisent sur la veracite entiere des faits.
    je pense neanoins qu’il est bon de creer des films de ce genre pour le grand public afin de creer des reflexions sur la psychologie moderne ses contributeurs ainsi que ses impacts sur notre societe moderne.

  3. Pourquoi ne parle-t-on pas de Jung ?

    J’ai fini le livre de Tobie Nathan – La nouvelle interprétation des rêves, il y a un certain temps maintenant. J’ai beaucoup aimé. L’aura de respect et de sérieux envers le rêve, le rêveur et l’interprète m’a beaucoup touché. Il m’a rappeler l’importance de faire attention à ses rêves tout autant qu’à ceux avec qui nous les partageons. J’y ai découvert Michel Jouvet, entre autre, et renoué avec le grand Artémidore. Toutefois, la seule critique que j’ai envers ce livre est le culte voué à Freud, que j’estime grandement, sans faire une part ne serais-ce minime à Jung qui est tout de même, à mon avis, un personnage incontournable dans l’histoire de l’interprétation des rêves et de l’exploration de la psyché humaine. Il m’a semblé qu’un grand soin a été pris pour ne pas parlé de ce dernier. Je ne sais pas pourquoi il est en ainsi? Tout juste une allusion aux interprétations possibles selon que l’on fasse interpréter son rêve par un jungien, un lacanien, un freudien ou un adepte de Krisna (p. 175).

    Cela n’empêche pas ce livre de rester une référence pour les années à venir, même si la principale question qui me reste est : Où puis-je trouver quelqu’un de confiance et compétent avec qui partager mes rêves et obtenir une interprétation qui fasse du sens ou qui résonne en moi ?

    Merci !

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