• Quand les dieux sont en guerre

4ème de couv.

Couverture : Mars 2001, le mollah Omar, alors chef des talibans en Afghanistan, ordonnait la destruction de deux gigantesques statues de Bouddha, hautes, l’une de 38 et l’autre de 55 mètres, vieilles de plus de 1 500 ans. Aujourd’hui, onze après leur dynamitage, aucune n’a été reconstruite.

Couverture : Mars 2001, le mollah Omar, alors chef des talibans en Afghanistan, ordonnait la destruction de deux gigantesques statues de Bouddha, hautes, l’une de 38 et l’autre de 55 mètres, vieilles de plus de 1 500 ans. Aujourd’hui, onze après leur dynamitage, aucune n’a été reconstruite.

Les guerres prennent de plus en plus la forme de « guerres de religions ». Est-ce la faute de croyants qui connaissent mal leur religion ?… qui ignorent que toutes les divinités ne sont que l’expression d’une même idée de dieu ? En, reprenant le récit biblique, en particulier celui de la Genèse, Tobie Nathan interroge cette idée qui fait consensus et ne fait que traduire, d’après lui, la naïveté de ceux qui rêvent de paix.

Mais le dieu des Juifs est-il vraiment le même que celui des catholiques ? Ce dernier est-il le même que celui des orthodoxes, des protestants ou des musulmans sunnites, chiites ? Sans parler de la galaxie des dieux indiens, des multitudes de bouddhas… Avons-nous un dieu unique, même s’il est prié différemment, ou pouvons-nous faire, avec Tobie Nathan, une proposition radicalement nouvelle : les hommes seraient semblables mais ce sont leurs dieux qui seraient différents.

Quelles en seraient les conséquences politiques ? Une telle idée serait-elle plus raisonnable, plus proche des faits et, surtout, plus efficace que les idées courantes ? C’est en exploitant ce postulat que Tobie Nathan nous invite à de nouvelles propositions pour fabriquer la paix.

Tobie Nathan, professeur émérite de psychologie à l’université de Paris VIII, est le principal représentant d’une nouvelle manière de prendre en charge les patients, l’ethnopsychiatrie. Il est aussi auteur de romans.

Extrait :

Le plus raisonnable est d’imaginer aujourd’hui, tout de suite, un parlement des dieux dans lequel chaque dieu sera représenté et où les hommes enseigneront à leurs dieux le parlementarisme politique. Le véritable problème résidera alors dans le choix des représentants. Il ne faudra accepter aucun responsable religieux dans ces parlements — non que j’émette par avance des doutes quant à leur probité ou leur intelligence, mais parce que, du fait même de leur fonction, ils n’auront pas tendance à envisager l’intérêt des dieux des autres. Les religieux défendent toujours, comme leur dieu — souvent un peu plus que lui — la politique expansionniste qui est nécessairement son destin. Il ne faudra y accepter aucun politique — les politiques ayant tendance, par nature, à ignorer les véritables nécessités des dieux. Et puisque, après tout, ce sont les dieux qu’il s’agira de représenter, laissons les donc s’exprimer. Regardons de par le monde ces personnes désignées, choisies — ne dit-on pas « élues » ? — pour exprimer au travers de leur existence les nécessités vitales de leur divinité. Acceptons de faire naître par la force d’un dispositif, le mouvement incroyable auquel avait pensé Isaïe, de faire accoucher le monde des nouveaux êtres dont il est gros.

Tobie Nathan

Tobie Nathan

Ces représentants, trouvons les parmi ces êtres humains étranges qui, sans jamais abandonner les leurs, sans jamais renier leurs propriétaires, aiment les dieux de leurs voisins jusqu’à s’y intéresser dans leurs différences, dans leurs singularités. Peut-être une telle proposition est-elle inconcevable — les dieux ne sont-ils pas ces êtres entiers et totalisants ? Comment peut-on imaginer quelque chose, ou plutôt quelqu’être — quelqu’un — susceptible de venir dynamiser un mouvement de l’un vers l’autre ?

Peut-être semblera-t-elle dangereuse à certains, ma proposition d’un parlement des dieux ? Ceux-là argueront qu’en reconnaissant les différences entre les dieux, qu’en invoquant les besoins spécifiques, les nécessités, les exigences que les dieux imposent à leurs fidèles, nous n’exacerbions les motifs de conflits entre les peuples. Voilà encore cette vieille idée qui revient selon laquelle si nous étions tous les créatures d’un même dieu, nous nous aimerions par une sorte de conséquence logique, tous, citoyens du monde, enfants d’un même père. Quelle drôle d’idée ! Et que d’invalidations les événements lui ont imposé ! Comme si les descendants d’un même ancêtre avaient une propension naturelle vers la paix. L’histoire a démontré le contraire bien des fois ! C’est comme si l’on croyait vraiment que l’amour était l’antidote de la guerre. La psychologie la plus banale a aussi montré que la vie était peuplée d’amours qui se transformaient en haines.

La paix est une conquête, une œuvre. Elle ne peut naître que d’un travail. Et à considérer la difficulté à l’obtenir, ce travail ne peut être que l’œuvre d’un être spécialisé. C’est pour cette raison que je propose la création de ce parlement des dieux, en tant que dispositif dont on peut espérer qu’il fera naître le mouvement attendu.

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Un compte rendu sur Fait Religieux.com par YVES MARC AJCHENBAUM

« L’histoire des hommes est largement parsemée de guerres, de conquêtes, de retraites, de carnages, de négociations, de « plus jamais ça ! »… Et à chacun de ces épisodes mortifères, dieu est présent. Un dieu, des dieux, selon les époques ou les cultures. Mais l’important pour chacun des protagonistes est d’avoir le sien. Et de le glorifier, d’implorer, à genoux ou en hurlant, son appui et ses faveurs. Souvent ces dieux sont étrangement proches les uns des autres, partagent une histoire quasi commune, mais ce n’est pas ce que l’homme en guerre met systématiquement en valeur. Bref, ce sont toujours les sociétés humaines qui se servent de dieu pour justifier leur guerre.

Pour l’ethno-psychiatre Tobie Nathan, les relations entre l’homme et dieu (ou les dieux) sont trop complexes pour accabler les hommes et innocenter les divinités. Depuis trente ans qu’il reçoit des patients, de culture extra-occidentale pour la plupart, il a compris et accepté que chaque personnalité a une relation intime avec des esprits, des démons ou encore des dieux. A ses yeux, ils sont présents dans notre psychisme  au même titre qu’un virus ou une bactérie l’est dans notre corps. Et s’ils ne font pas  souffrir systématiquement,  toujours ils influencent.

…/…
Une question s’impose alors pour l’ethno-psychiatre qui, ne l’oublions pas, est aussi un auteur de roman : les dieux nous condamneraient-ils donc à la guerre ?
Parce qu’au cours de ses décennies de consultations cliniques, Tobie Nathan a aussi constaté des réussites thérapeutiques, il laisse paraître dans son ouvrage un léger optimisme – non dépourvu d’une certaine ironie – pour ce qui concerne l’évolution de la relation des hommes avec leurs dieux. Il sait parfaitement que faire cohabiter le loup et la brebis, Allah avec Kali et Jésus avec Bouddha n’est pas chose aisée… Mais il propose  une solution : l’action de l’homme. Mais , surtout pas de rencontres inter-religieuses « tiédasses », d’échanges de connaissances entre bonnes volontés généreuses. La paix est une conquête, celle des divinités par les hommes. Et il faut un commencement : obliger les dieux à échanger, leur enseigner  « la coexistence au sein des mondes. »  Le prochain roman de Tobie Nathan devrait nous éclairer sur la suite des événements. »Tobie Nathan
Quand les dieux sont en guerre
Les empêcheurs de penser en rond
Editions La Découverte
128 pages ; 13 euros

En savoir plus sur http://www.fait-religieux.com/quand-les-dieux-sont-en-guerre#VEwjawv6zTUyjQle.99

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Une petite note dans le Canard Enchaîné du 11 mars 2015 :

Quand les dieux sont en guerre, par Tobie Nathan

Les religions ne sont pas des masques idéologiques ou des alibis politiques : une divinité fonctionne comme un logiciel, avec son programme et ses bugs. « Pour entrer dans mon propos, il faut admettre l’hétérogénéité des dieux » explique l’ethnopsychiatre Tobie Nathan, pour qui « la terre est devenue un espace d’affrontement entre divinités qui persévèrent chacune dans son projet, aujourd’hui obsolète, d’une conquête totale du monde ». Le remède de l’auteur : « Un parlement des dieux ». Ou comment être théologien et athée ! (La Découverte, 13€.

Une autre dans Philosophie Magazine :

Parlement divin

Philosophie Magazine 88

Philosophie Magazine 88

Les religions monothéistes fondent un universel en restant ancrées dans une singularité historique. L’humanisme, qui veut qu’elles ne soient que diverses expressions du même Dieu, ne fait, selon Tobie Nathan, qu’alimenter le malentendu. Remontant aux sources de la foi d’Abraham, il préfère creuser la singularité irréductible de chaque dieu, y compris des trois issus du judaïsme, du christianisme et de l’islam. Une vision pragmatique attachée à la fabrication, à la « cuisson » spécifique d’une religion, qui l’amène à cette proposition, étonnante : plutôt que la « guerre des civilisations », un parlement des dieux, où chacun serait représenté dans sa différence et apprendrait à coexister avec les autres. Dans la pensée de Tobie Nathan, l’entité symbolique est douée d’une vie propre et il existe une multitude de « sujets divins » qui doivent, comme les hommes, se soumettre aux règles de la citoyenneté.

par Philippe Garnier

Et dans Psychologies Magazine

Psychologies Mars 2015

Psychologies Mars 2015

Tobie Nathan, professeur émérite de psychologie, ethnopsychiatre, et collaborateur régulier de Psychologies magazine, s’appuie sur un commentaire de la Bible pour récuser l’idée humaniste selon laquelle toutes les divinités découlent d’une même conception de Dieu. Au contraire, il s’agit d’admettre la pluralité des divinités : ainsi le dieu juif n’est pas celui des catholiques ni celui des musulmans. Une fois cette diversité admise, l’auteur propose d’instaurer un « parlement des dieux », où chacun sera représenté, loin de cette « interreligiosité tiédasse, qui a pour seul résultat d’exacerber les violences des dieux non reconnus dans leurs exigences propres… afin de fabriquer la paix » entre les religions.

LogoDécisionSanteUn compte rendu dans Décision Santé

Entretien avec Tobie Nathan

« Les Dieux sont contraints de cohabiter, aidons les. »

Tobie Nathan depuis longtemps arpente les sentiers non battus. Le psychothérapeute s’inspire davantage des guérisseurs africains que de Sigmund Freud. Face à l’intégration à la française, il défend une manière de communauté. Enfin dans un pays laïc l’iconoclaste convoque les dieux. Dernière provocation, dans son dernier livre*, l’auteur propose même la création d’un parlement pour évoquer sérieusement les conflits entre divinités. Est-ce bien raisonnable ?

Décision Santé. Dans le contexte troublé d’aujourd’hui, vous proposez la création d’un parlement des dieux ? Dieu est-il soluble dans la démocratie parlementaire ? N’est-ce pas antinomique ?

Tobie Nathan. Comment vivre ensemble ? Pour répondre à cette question, le point de vue a toujours été celui de l’être humain. Le pari de ce livre a été de penser la question du « vivre ensemble » du point de vue des dieux. Comment créer un monde où des dieux différents pourraient vivre ensemble. Des questions préliminaires : Qui sont-ils, ces dieux ? Quelles sont leurs intentions ?On peut certes prétendre que les dieux n’ont pas de vie matérielle, mais on admettra que, en tant qu’êtres, ils vivent et ils meurent. Les dieux grecs, par exemple, n’ont plus d’adeptes aujourd’hui, pas plus que les dieux égyptiens de l’antiquité. Ils sont morts. En vérité, quoiqu’on en ait dit, les dieux sont mortels. Leur espérance de vie est d’environ 3 000 ans. Certes, les dieux sont tous différents, mais ils présentent quelques caractéristiques communes. D’abord, les dieux sont comparables à des enfants autistes. Chacun parle sa langue ; une langue que ses adeptes sont obligés d’apprendre. Mais on n’a jamais vu un dieu parler à un autre dieu… Autre spécificité, ils sont jaloux, n’arrivant pas à partager un même territoire, même lorsqu’ils sont apparentés, comme le sont par exemple le dieu juif et le dieu musulman. Et pour finir, ils ont la mauvaise habitude de se faire la guerre jusqu’à la disparition de l’un d’entre eux. C’est comme cela que le monde est resté durant des millénaires. Mais aujourd’hui, ce monde s’est ouvert. Pour les aider à partager un même monde, nous devons d’abord accepter l’idée que les dieux sont différents. Cela va à l’encontre des lieux communs du type « Tous les dieux ne sont qu’une déclinaison d’une même idée de Dieu »… l’idée du père, par exemple. Ces théories positivistes héritées du XIXe siècle sont si éloignées de la vie réelle… Il est temps de revenir à ce que les individus vivent au quotidien. Le dieu du musulman sunnite est différent de celui du musulman chiite par exemple, sans parler du dieu des juifs, ou de celui des chrétiens…

D. S. Mais revenons à votre idée de créer un parlement des Dieux. C’est une métaphore, une simple image à faire penser.

T. N. Pourquoi ?

D. S. Cela ne paraît pas réaliste à la lumière des événements de janvier dernier.

T. N. Au contraire ! La période actuelle confirme l’urgence de disposer d’un endroit – je parle d’un endroit réel ! – où l’on discuterait sérieusement des intérêts des dieux. Que souhaite vraiment le Dieu des musulmans chiites ? Pour le savoir, il faut interroger les évènements. Les Dieux inoculent la folie aux hommes pour les contraindre à réaliser des actions. Ainsi, en examinant les hommes et leurs folies ; en analysant les événements du monde, on peut percevoir les intentions des dieux. Et si l’on disposait d’un tel parlement, il deviendrait alors possible de montrer comment les intentions d’une divinité entrent en contradiction avec celles d’une autre divinité et chercher des arrangements, des compromis…Comment interpréter les intentions des Dieux ? Qui devra se livrer à cet exercice ? Les religieux en sont exclus. Ils sont plutôt enclins à ignorer les Dieux des autres. Cette idée de parlement procède d’un antécédent historique puisé dans l’Antiquité juive. Un individu était autrefois chargé d’étudier les religions des autres peuples. Cette mission n’était pas motivée par la curiosité ; elle devait permettre de repérer les individus attirés par d’autres croyances, en passe de se convertir. Ces personnages, ces spécialistes des dieux des autres, m’ont intéressé. Outre la dimension théologique de l’entreprise, cette connaissance relevait nécessairement de l’art de guérir. Car en période de grands brassages de populations – ce qui était le cas à l’époque de la colonisation romaine ; ce qui est évidemment le cas aujourd’hui – il fallait fort bien connaître les diables des autres infiltrés dans le corps des malades. Ce type de personnage m’a inspiré pour imaginer les députés qui siégeraient dans ce parlement des dieux que j’appelle de mes vœux – eux qui avaient vocation à s’intéresser aux dieux des autres.

La suite de l’entretien se trouve dans la version papier du journal DS 300 février-mars 2015.

Information du 26.03.15 11:45

Une réflexion sur “• Quand les dieux sont en guerre

  1. Bonjour M. Nathan,
    J’ai lu votre ouvrage sur la genèse du dieu des Juifs, si on peut dire, (ainsi qu’ ‘Arlozoroff’ : épatant !). J’ai aussi visionné quelques-unes de vos interventions sur Akadem.
    Je constate votre attachement au thème Abrahamique du “Fous le camp !”, du Lekh lekha, et à la question du commencement.
    ·
    L’interprétation d’Abraham “Père des peuples”, père d’une multitude, père fondateur… OK : Très connue, elle exerce une force d’attraction quasiment universelle. La geste d’Abraham c’est — qu’il n’est plus le fils de son père (et ensuite, il n’est plus le père de son fils). Abraham est l’archétype du fondateur. Pourquoi/Comment ? Dieu est venu le chercher et lui a proposé un projet (mutuel). Très bien.
    ·
    De mon côté, j’aime aussi relire, (tri)fouiller et essayer de penser le texte biblique. En relisant les chapitres 11 et 12 (etc.) de la genèse dernièrement, je suis tombée sur un os qui me semble remettre en question cette interprétation.
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    D’après le texte, le père d’Abram, Térach/Tharé, se lève pour emmener Abram, Loth et Saraï en Canaan (11. 31) mais ils n’allèrent que “jusqu’à Harân et s’y fixèrent ». Quand Dieu parle à Abram pour lui soumettre le fameux projet fondateur, il était donc DÉJÀ en route vers Canaan, sur l’initiative de son père !!! Ce que lui propose Dieu est donc de CONTINUER et d’aller jusqu’au but annoncé précédemment par Térach. Même s’il ajoute des conditions telles que la paternité d’une multitude, Dieu, en quelque sorte, l’invite à reprendre le but, l’itinéraire, l’impulsion du départ donnée, d’après le texte, par son père… Car, le premier dans l’histoire à avoir quitté son pays, son lieu natal (12. 1) c’est bien Tharé, le père d’Abram. Et que penser de la destination finale annoncée par Dieu qui ne fait que reprendre celle abandonnée par le père ? Dans ce cas, le « FOUS LE CAMP ! » prendrait une autre signification (et la passivité d’Abraham un peu plus soulignée).
    ·
    Je suis curieuse de connaître votre avis sur ces détails !

    Bien à vous

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