Les mots du vent

Conférence à Berlin au cours de la grande réunion-exposition « ANIMISMUS »

Conclusion

Une société intéressée, passionnée, même, par l’existence des djinns, leur sexualité, leurs habitudes, leurs intentions est aussi une société profondément intriguée, travaillée par l’altérité. Car il faut remarquer que les djinns, ces étrangers, constituent à leur tour des sociétés d’invisibles — s’ils veulent les identifier, les humains ne peuvent se fier à leurs sens. Ils n’ont donc que deux modes de connaissance : la lecture des textes anciens dont on peut penser qu’ils ont été écrits à la suite de rencontres avec de tels “êtres” et, ce qui nous intéresse en premier lieu ici : les maladies actuelles des humains.

Le monde des djinns est un monde de pensée et non de croyance — si tant est que le mot “croyance” vaille la peine dans un tel contexte. Ce monde s’étaie et s’oppose par deux côtés : à la philosophie d’une part, à la religion de l’autre. Il ressemble à la philosophie par sa recherche des caractéristique des êtres, tout comme le philosophe poursuit l’identification de nouveaux concepts. Mais il ressemble à la religion du fait que les êtres auxquels il s’adresse sont vivants et doués d’intentionnalité. Traiter avec de tels êtres comporte des conséquences. Si la religion construit des groupes, participe à la fondation d’espaces sociaux, contribue à fortifier l’intelligence des faibles et des démunis, le monde des djinns engage qui s’y aventure dans l’exploration des marges, des envers, des lignes de fuite. La religion installe un ordre ; le monde des djinns récupère les exclus de cet ordre, les soigne, les réintègre dans des niches spécifiques. Si la religion construit les murs, les monde des djinns y creuse des fentes, explore sans cesse les failles, agrandit les cavités et propose des façons de s’y installer à demeure. S’installer dans un mur… ou sous un mur… en tous cas certainement pas à l’abri du mur.

Tobie Nathan au Neues Museum à Berlin

Le monde de la philosophie ressemble à celui des djinns par sa contrainte à la création ; mais il est moins tenu par les exigences de la vie. Identifier le bon djinn déclenche une conséquence quasi immédiate : la guérison du malade ou l’aggravation de son état ; alors que la construction d’un “bon” concept n’a pas de conséquence repérables dans la vie. Il est difficile d’évaluer un philosophe ; beaucoup moins un guérisseur ! Mais la philosophie possède cette capacité de désagréger les mondes par perte de sens, de les déconstruire. Au fond, un guérisseur, allié des djinns est un religieux sans rituel — un philosophe dépourvu (qui s’est enfin débarrassé) de cette haine du monde tel qu’il est.

TN