• La fin du Monde — Un rendez-vous manqué (Michaël Fœssel)

à propos du livre de Michaël Fœssel Après l’apocalypse. Critique de la Raison apocalyptique. Paris, Le Seuil, 2012.

Un bon petit livre, bien écrit, dynamique avec de vraies formules et des lectures surprenantes qui revivifient des auteurs parfois oubliés. Un livre de pensées, comme Les pensées de Pascal, par exemple, plutôt qu’un ouvrage qui livre une pensée.

Le thème, évidemment excellent, la « Fin du Monde », un thème d’actualité, à la fois politique et transversal — philosophique, religieux, psychologique par endroits — fondamental en un mot.

Alors… Devons nous craindre,… nous protéger,… désirer, peut-être… la fin du monde ? Et d’abord que signifie cette fin du monde ?

Voilà posée la question. On s’attendait évidemment à ce qu’un philosophe en débatte à sa manière — et en reprenant des auteurs, bien sûr ! Hobbes, sans doute et le Leviathan ; Leibnitz et le pari sur l’être plutôt que le non-être ; plus intéressant à mes yeux, Max Weber et son analyse lumineuse de l’ascétisme des sectes protestantes dans sa Sociologie des religions. L’ascète serait celui qui, faisant le constat que la fin du monde est déjà advenue, n’a plus qu’à s’occuper en attendant le monde à venir.

Mais parmi les réflexions (nombreuses) que m’a inspiré ce livre, il en est quelques unes sur lesquelles je voudrais m’arrêter. Foessel rappelle, bien sûr, que le thème est d’origine religieuse et qu’il est venu s’incruster dans la politique après la mort de Dieu. D’abord, je ne suis pas certain que Dieu est mort et, quoiqu’il en soit, je me suis senti frustré de l’absence de l’analyse des thèmes religieux.

Alors, des fins du monde, il y en a de toutes sortes… Celles sur lesquelles je voudrais revenir résultent d’un rendez-vous manqué.

Les rendez-vous manqués

Dans les trois religions monothéistes et dans les innombrables sectes qu’elles ont engendrées, on retrouve à chaque fois une fin du monde résultant d’un rendez-vous manqué. Le premier, bien sûr, la fois implicite, dans le judaïsme, avec l’attente du messie, s’origine très probablement dans cette défaite de Megiddo. À la fin du VIIème siècle av JC, le roi Josias avait fini par convaincre le peuple d’Israël de se soumettre aux commandements du dieu unique. Il livra là, à Megiddo, une bataille terrible contre le pharaon d’Égypte, Nekao II. Il perdit non seulement cette bataille, mais aussi la vie. Cette injustice inouïe de ce roi pieux qui avait réussi à embarquer le peuple dans une passion commune pour un même dieu et qui finit par une défaite est restée dans la mémoire comme une injure à la raison. Elle serait réparée dans les siècles à venir, au cours d’une bataille gigantesque au cours de laquelle le Bien finirait enfin par triompher du mal. C’est cette bataille attendue, cette lutte finale, qu’on retrouve ensuite dans bien des Apocalypses. Celle de Jean (16,16), en premier lieu, sous le nom de « bataille d’Armageddon »… qui signifie, bien sûr, le « mont Megiddo » (Har Megiddo). Tout le monde sait qu’Armageddon est devenu l’un des thèmes essentiels des sectes évangéliques, en particulier les Témoins de Jéhova. On en trouve une illustration dans ce film incroyable dans lequel Charlton Heston joue Le Survivant.

Vue aérienne de la colline de Megiddo

Premier rendez-vous raté qui se poursuit dans des remake de ratages, celui de Jésus, bien sûr, dont on attend sans cesse le retour ; celui des messies plus ou moins faux des dissidents juifs, tels Shabattaï Tzvi ou Jacob Frank ; celui du Mahdi ou du 12ème imam des Musulmans dont on guette la venue dans les signes des temps, celle de la révolution, enfin, qui ne cesse d’advenir pour repartir…

Alors plutôt que de comprendre ces fins du monde modernes, révolutionnaires ou écologiques, à partir du couple conceptuel doute/certitude, on pourrait introduire la force de certaines émotions, telles que la rage devant le rendez-vous manqué.

Les tentatives de forcer la survenue de la fin du monde

Certaines sectes, à la fois politiques et religieuses, persuadées que la fin du monde sera aussi le début du règne du bien, ont engagé des actions sur le monde pour hâter sa fin. La plus connue, la plus impressionnante aussi, même si ce qu’on en a dit n’est certainement pas tout à fait exact est la secte des Haschashins qui, sous la direction du « Vieux de la Montagne », Hassan ibn Sabah, avait au XIème siècle, institué l’attentat suicide comme technique. Marco-Polo, qui fut le premier à mentionner ce groupement politique, raconte que les jeunes gens étaient d’abord enfermés dans les jardins d’Alamout. On leur offrait haschich, vins, mets et vierges à volonté. Puis on les réveillait et on leur proposait de tuer tel chef ennemi pour retrouver le paradis auquel ils venaient de goûter.

Michaël Fœssel

Les vécus de fins du monde

Là où j’ai trouvé le livre faible — rapide, en tout cas, et léger, c’est dans sa description des vécus de fin du monde. Il cite bien sûr Hanna Arendt et ses descriptions d’un monde qui a perdu ses qualités de monde, l’univers concentrationnaire nazi, en particulier. Je dis que j’ai trouvé le livre faible parce moi que, ayant connu un certain nombre de survivants de la Shoah, notamment en consultation et qui ai lu une partie de la littérature consacrée aux témoignages de ces survivants, je suis resté frappé par le fait que ces personnes, même si elles décrivent bien un monde qui ne fait plus sens — ou pire encore, un monde qui travaille inlassablement à la destruction du sens — en sont sortis avec la conviction d’être des gens pas comme les autres. Ils sont certains que leur expérience n’est partageable qu’avec des personnes qui ont traversé les mêmes horreurs. Pour eux le monde ne s’est pas arrêté, n’a pas disparu ; ils ont changé de monde. Ils ont la sensation de ne pas habiter le même que nous.

De manière moins extrême, mais certainement comparable, le vécu des migrants, en temps « d’assimilation » et d’absence des relais modernes vers les mondes d’origine — l’absence des cassettes, audio, puis vidéo, l’absence d’internet et de Skype… dans un temps où on pouvait penser éradiquer tous les attachements, toutes les empreintes originaires… Eux aussi sont pleins de ces récits de changement de monde et des sensations très particulières qu’ils suscitent dans les personnes.

Enfin, je m’attendais à d’autres développements autour des théories écologiques qui nous prédisent l’imminence de la fin de la planète. Je suis resté sur ma faim devant le seul démontage conceptuel. Certes, devant la fin du monde, on ne craint pas seulement de perdre « la vie »… Mais les discours écologiques actuels sont en train de faire revenir au devant de la scène un être quasi mythologique, dont il s’agit de redécouvrir l’écologie, précisément, ses exigences et les dettes à son égard : la terre, cet être que Bruno Latour, dans son dernier livre[1] appelle simplement Gaïa.

à lire, en tout cas… pour se vivifier le cerveau !

TN

Pour écouter l’émission La Grande Table sur France-Culture ici <—


[1] Bruno Latour, Enquêtes sur les modes d’existence. Une anthropologie des modernes. Paris, La Découverte, 2012.

2 réflexions sur “• La fin du Monde — Un rendez-vous manqué (Michaël Fœssel)

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