
statuette fon (Bénin) — Collection personnelle
Imagine seulement, humain ; imagine que tout ce qui compose ton corps, l’eau que tu partages avec l’univers, cette eau dont tu es traversé, l’air qui est indispensable à ta survie et cette matière, comme de la glaise, qui te colle au sol et t’interdit l’élégance de l’oiseau — imagine que tout cela disparaisse et qu’il ne reste pour te constituer que le feu des passions… Le feu, oui ! Ce mouvement qui est seulement mouvement ; cette lueur qui n’est qu’intensité… Le feu seul, sans la matière qu’il consume, sans la chaleur qu’il produit… Peux-tu seulement imaginer un être qui serait ainsi fait du seul feu ? Le feu et rien d’autre, pas même la fumée qui nécessite la présence de l’air… Eh bien, humain, si tu sais imaginer cela, tu peux alors nous apercevoir…
Vous autres humains, n’acceptez les questions que dans la maladie et ne reconnaissez les divinités que dans la folie. Nous sommes votre chemin vers l’autre et vous êtes notre durée. Vous nous consentez un peu d’amour et nous faisons pleuvoir sur le désert ; vous nous offrez quelques années et nous en faisons des siècles…
Catherine Grandsard et Tobie Nathan, « Un feu sans fumée. Conversation avec les Djinns » in sous la direction de Olivier THIERY et Sophie HOUDART, Humains, non-humains. Comment repeupler les sciences sociales, aux Editions de la Découverte, Paris, 2010.
On peut lire un texte détaillé sur la toile, de Tobie Nathan, « Corps d’humain, corps de djinn » Extrait:
Les mots :
Djinn : êtres surnaturels susceptibles de s’emparer du corps et du fonctionnement psychique d’une personne afin d’obtenir une compensation de la part des humains : une offrande, un sacrifice, un autel.
Djinn – est un mot arabe provenant d’une racine prolifique.
La matrice, janna , évoque l’idée d’obscurité, de voile, surtout de dissimulation. Djinn désigne avant toute chose un « être invisible ».
Le pluriel, jenoun ou jnoun a donné junan ou jenan qui signifie « la folie » – car être pris, capturé par un être invisible implique l’aliénation de la personne.

Le Seuil, Paris, 2004
Majnoun signifie être sous l’emprise d’un djinn – donc, littéralement : « endjinné » – mot généralement utilisé pour désigner la folie.
Cependant, cette même racine a produit d’autres mots permettant de faire ressortir vivement la polysémie intrinsèque du terme :
janin , « le fœtus », sans doute du fait qu’il est toujours caché – ou peut-être le long d’une sorte de métaphore : le djinn caché dans la nuit comme un fœtus dans la matrice…
jénéna , « le jardin » ;
jennat , « le paradis » ;
janan , « le cadavre, le tombeau ».
En arabe courant, pour dire fou, on utilise le mot majnoun. Cependant, on peut presque indiféremment dire:
majnoun : « pris par un djinn », « endjinné »
madroub : « frappé » [par un djinn]),
markoub : « monté » [par un djinn]),
maskoun : « habité » [par un djinn]),
mamlouk : « possédé » – au sens où l’on « possède », l’on est « propriétaire » d’un terrain ou d’un appartement – [par un djinn]),
masloukh : « frotté jusqu’au sang » [par un djinn]),
malbouss « porté » [par un djinn] – comme on enfile un vêtement), etc.
des éléments bibliographiques