La Psychanalyse, un beau roman…

A propos de JB Pontalis et Edmundo Gomez-Mango, Freud avec les écrivains, Paris, Gallimard, 2012 et JB Pontalis, Le laboratoire central, Paris, L’Olivier, 2012.

Les deux beaux livres de Pontalis, l’un aux éditions Gallimard, l’autre à l’Olivier ont un côté rétro qui fait leur charme.

Freud lisait les romanciers de son temps, ainsi que les grands auteurs… Goethe, Schiller, Heine, Shakespeare… Qu’y a-t-il d’extraordinaire à cela ? S’est-il véritablement inspiré de leurs récits, voire des idées théoriques qu’ils contenaient ou les prenait-il seulement comme exemples, exergues, allégories ? Que sa lecture ait été plus ou moins pertinente ne révolutionnera pas non plus la littérature. Y a-t-il un intérêt littéraire à lire Hamlet comme un Œdipe ? En ce qui me concerne, je ne le pense pas. Mais là encore, il s’agit d’opinion. Et d’ailleurs, Œdipe avait-il un complexe d’Œdipe ou bien, comme l’écrivait autrefois Vernant, devons nous le voir plutôt « sans complexe »[1] ? Toutes ces questions, fort bien formulées par ailleurs,  ont des relents vintage qui font leur charme.

Ce que j’aimerais discuter, c’est que Freud, sans doute romancier contenu, conteur refoulé, utilise à certains moments, peut-être à son corps défendant — à son cœur défendant ? — le récit. Peut-être lui échappe-t-il des mains au début, dans ses lettres à sa fiancée, lorsqu’il s’essaie au commentaire d’une œuvre littéraire, lorsqu’il se prend pour Faust ou pour Coppelius ou encore pour Moïse à la fin de sa vie… Non ! Mais il est deux exercices où la fabrication du récit lui est quasi obligatoire.

Les rêves et les histoires de cas

La première, comme le remarque d’ailleurs Edmundo Gomez Mango, dans les récits de rêves de son Interprétation des rêves. Dérouler les interminables associations d’idées afférentes à un rêve, peut prendre des pages, pas nécessairement passionnantes, à moins que s’y mêle soudain un souvenir d’enfance, qu’il faut maquiller, la référence à un collègue, que l’on doit masquer et voilà Freud devenu artisan, fabriquant d’histoires. Et, je dois dire, que c’est dans cette activité poïétique que je le préfère.

Freud a fabriqué des récits — beaucoup !… beaucoup de récits !!! La horde primitive et le meurtre du père originaire, la dramaturgie de la nursery et — c’est sans doute en cela qu’il a excellé ! — des histoires de cas. Que ces cas aient été très souvent bidonnés, comme on dit dans l’univers du journalisme, on l’apprend peu à peu. Que les patients ne se sont pas souvent reconnus dans le récit de leur vie tel qu’il fut rapporté par leur psychanalyste ne fait qu’attirer plus vivement l’attention sur ses capacités créatrices. Freud a fabriqué des histoires qui sont devenues aussi célèbres que celle d’Emma Bovary ou de Fiodor Pavlovitch Karamazov.

Montgomery Clift dans Freud Passions secrètes, un film de John Huston

Freud personnage de récits

Curieusement, il semble que le personnage de Freud a paralysé les créateurs. Il s’est peu retrouvé lui-même dans des récits. Comme souvent, les plus audacieux ont été les auteurs de romans policiers, qui l’ont mis quelquefois en scène. Je mentionnerai celui qui a obtenu le plus de succès, vendu à plus de 600 000 exemplaires aux USA, L’interprétation des meurtres  de Jed Rubenfeld. L’action se déroule à New York où Freud débarque avec deux de ses disciples, Jung et Ferenczi pour une série de conférences à la Clark University. Une tentative de meurtre vient d’avoir lieu. Un jeune et timide médecin décide de prendre en charge la victime. Il vient demander son assistance au célèbre professeur viennois. Et c’est lui, Freud, qui mènera l’enquête… Un bouquin extraordinaire qui mêle l’histoire de la psychanalyse, l’opposition des neurologues américains bien-pensants à son introduction dans la puritaine Amérique, le conflit qui enfle entre Freud et Jung et un véritable polar, haletant. Une réussite !… qui n’a malheureusement pas eu de succès en France… Peut-être du fait d’une traduction peu dynamique. (Voir mon commentaire du polar Séduction de Catherine Gildiner)

De même dans l’univers du cinéma, l’introduction de la figure de Freud est extrêmement timide. Certes, il y eut le film de John Huston, Freud, passions secrètes, pour lequel, on s’en souvient, Sartre avait rédigé un premier scénario très documenté qui, s’il avait été tourné, aurait donné, dit-on, un film de 16 heures au moins. On sait aussi que la fille de Freud, Anna, s’était opposée de toutes ses forces à la production d’un tel film. Avec quelque succès, je dois dire, puisqu’elle a réussi à faire écarter Marylin Monroe, qui était pressentie pour jouer le rôle d’une patiente hystérique… Dommage ! Il faut dire que Marilyn, grande consommatrice de Psy, d’anxiolytiques et de barbituriques, avait fait une semaine de psychanalyse avec Anna Freud, à Londres. Conclusion de la célèbre psychanalyste : instabilité émotionnelle, besoin d’approbation, exhibitionnisme…

Vigo Mortensen jouant Freud dans A Dangerous Method

Il n’est pas étonnant que ce film soit devenu un film-culte. Tendu comme une corde à violon depuis sa conception jusqu’au jeu des acteurs, Monty Clift cultivant son angoisse pour qu’elle soit plus visible encore sur l’écran, s’arrêtera à plusieurs reprises durant le tournage, épuisé…

Plus près de nous, signe des temps, l’année dernière, on a vu apparaître sur les écrans un Freud plus sûr de lui, plus froid, plus calculateur, dans le film de Cronemberg, A dangerous method, qui relate l’incroyable histoire d’une patiente Sabina Spielrein, soignée d’abord par Jung, qui en fera sa maîtresse, avant de devenir la patiente de Freud, qui fera tout pour la séparer de son rival. Beau récit, trio tragique lorsque l’on sait que Sabina Spielrein repartira dans son pays, en Russie où elle rejoindra la toute jeune association russe de psychanalyse en 1924. Sa destinée se poursuivit dans le tragique. Son mari, Pavel, disparut victime de la terreur stalinienne. Quant à elle, elle fut assassinée en 1942 par les Nazis, sans doute par les Einzatsgruppen…

Et les comédies ?

Il y a tant de récits dans la psychanalyse de Freud et si peu sont parvenus à maturité… Peu de récits comiques, à part peut-être son apparition dans le film extraordinaire de Herbert Ross, Sherlock Holmes attaque l’Orient Express. Le docteur Watson ayant trouvé Sherlock Homes, cocaïnomane invétéré, en état de prostration, décide de le conduire à Vienne pour suivre une cure psychanalytique avec Sigmund Freud. Quelques Sketches désopilants qui font penser irrésistiblement au mot de Nabokov déclarant que Freud était un auteur comique[2]… Freud entrera véritablement dans la culture quand on pourra se moquer de lui.


[1] Jean-Pierre Vernant, Pierre Vidal-Naquet, Œdipe et ses mythes. Paris, Editions Complexes, 2001.

[2] The only positive thing Nabokov is on record as saying about Freud is his remark in a televised French interview (1975), « I admire Freud greatly as a comic writer » (j’apprécie Freud beaucoup dans sa qualité d’auteur comique). http://muse.jhu.edu/journals/aim/summary/v062/62.1durantaye.html

Dans Le Temps du 10 novembre, une critique d’Ethno-Roman

Tobie Nathan, savant et sorcier

par Réda Benkirane

Le quasi-inventeur de l’ethnopsychiatrie française se raconte dans un livre qui commence non avec sa vie mais par les temps immémoriaux d’Egypte

Tobie Nathan a commencé à faire parler de lui il y a un peu plus d’une quinzaine d’années pour la discipline, l’ethnopsychiatrie, qu’il a pour l’essentiel inventée dans les couloirs d’hôpitaux français. Au contact de migrants névrosés issus de cultures extra-européennes, il élabore une thérapeutique métisse de la maladie mentale, au croisement de la psychothérapie et de l’ethnologie. Approcher le trouble mental selon l’arrière-plan culturel du patient, recourir à des techniques traditionnelles de transe et de soin, interpréter ses rêves, faire parler les esprits qui l’agitent, travailler avec des traducteurs d’idiomes africains et avec des guérisseurs, telle est la démarche décomplexée de ce psychothérapeute.
Dans ses Mémoires où résonnent de multiples voix, l’auteur retrace son parcours, de sa quasi mystique «sortie d’Egypte» en 1956 suite à la crise de Suez jusqu’à sa rencontre décisive avec son mentor, l’anthropologue Georges Devereux.

C’est l’histoire d’un émigré, juif levantin, un jeune banlieusard des années 1960. Formé dans le chaudron social de mai 68, il aura su échapper aux impasses existentielles de l’idéologie et de la drogue, en poursuivant une quête du savoir, un amour des femmes et de la littérature, une formation à la psychanalyse. Son -«intégration» à la société française passe par l’école et l’université, mais n’a jamais signifié de renoncer à la mémoire du passé antérieur ni de renier les cultures dont sa famille hérite depuis des générations: judéité, arabité, francité, africanité… Ethno-Roman (Prix Femina essai 2012) raconte aussi le processus qui amène le disciple à se libérer du Maître et de ses pulsions égotistes pour poursuivre son propre chemin vers «les Autres».

pour lire la suite sur Letemps.ch <—

Dans Le Monde des Livres du 9 novembre 2012

Autoiographie excentrée

par Eglal Errera

…/…

Servi par une écriture d’une belle vitalité, Ethno-roman est la chronique intellectuelle d’une génération et d’une communauté oublié, celle des Juifs d’Égypte, dont l’émigration engendra une diaspora discrète.

…/…

Ethno-roman offre une vision excentrée et captivante du monde, soutenue par l’incessant désir de vivre, d’agir et d’apprendre • Eglal Errera

 

Réédition de Médecins et Sorciers

Les éditions La Découverte rééditent Médecins et sorciers, écrit en collaboration avec Isabelle Stengers, qui parait aujourd’hui dans une édition entièrement revue et augmentée de deux nouveaux chapitres inédits.

La présentation de l’éditeur :

Isabelle Stengers

Nous croyons savoir ce que font les guérisseurs : ils s’appuient sur les croyances (irrationnelles) des patients et agissent de manière « symbolique » ; s’ils obtiennent des résultats, c’est grâce à leur capacité d’écoute. Nous croyons aussi savoir ce qu’est la médecine moderne : une médecine très technique, rationnelle, mais trop peu à l’écoute des patients. Dans ce livre, Tobie Nathan et Isabelle Stengers montrent que cette opposition est trompeuse. Selon Tobie Nathan, les guérisseurs sont intéressants justement parce qu’ils n’écoutent pas les patients : les techniques de « divination » s’opposent à celles du « diagnostic ». En interrogeant l’invisible, en identifiant ses intentions, ceux-ci construisent de véritables stratégies thérapeutiques dont les guérisseurs africains sont des virtuoses.

La médecine moderne se caractérise, elle, par son empirisme et non pas par sa rationalité. Le thème de la rationalité sert à combattre les autres techniques de soin.

Ce livre, véritable manifeste de l’ethnopsychiatrie, bouleversera tous ceux qui ont affaire avec le soin et la médecine. Au-delà, l’objectif du psychologue et de la philosophe est de nous obliger à repenser le rapport entre la culture occidentale et les autres. Cette nouvelle édition est complétée avec deux textes où les auteurs répondent à leurs contradicteurs.

Tobie Nathan, Isabelle Stengers, Médecins et Sorciers, La Découverte, 180 pages, dans les bonnes librairies, 16 €

Dans le Top Ten de Elle

Dans le Top Ten de Elle du 6 novembre 2012 :

« Ethno-roman », de Tobie Nathan (Grasset). Egyptien de naissance, psychologue et écrivain , l’un des inventeurs de l’ethnopsychiatrie revient sur ses années de formation… Et si son plus grand talent était celui de conteur ? La preuve il vient de recevoir le prix Femina de l’essai.

Prix Femina Essais 2012

06/11/2012 16:30

Félicitations d’Aurélie Filippetti, ministre de la Culture et de la Communication, à Tobie Nathan

Le Prix Femina de l’essai est attribué cette année à Tobie Nathan pour « Ethno-roman » une autobiographie intellectuelle qui raconte, avec la séduction raffinée d’un conteur égyptien, l’aventure de l’ethnopsychiatrie.

J’adresse mes chaleureuses félicitations à ce narrateur à l’univers si riche, aussi à l’aise et captivant dans ses ouvrages spécialisés (« La nouvelle interprétation des rêves », « Psychanalyse païenne ») que dans ses romans policiers, ainsi qu’à son éditeur Grasset.

Pionnier de l’ethnopsychiatrie, Tobie Nathan soigne ses patients en prenant en compte leur culture et en laissant agir la « pensée magique », « l’ADN la plus fiable de la nature humaine ». C’est cela que raconte « Ethno-roman », entrelacé au récit de sa vie d’ethnologue et de diplomate (ex conseiller culturel en Israël et Guinée), depuis l’enfance égyptienne et l’émigration en France, en 1958. Avec l’écriture pour complice.

Publié le 06/11/2012 à Paris