• Les freudiens meurtriers par Catherine Gildiner, la séductrice

 

à propos de Catherine Gildiner, Séduction paru en Anglais, en 2005, en français chez JC Lattès en 2008 et en 10/18 en juin 2010.

 

Catherine Gildiner se saisit des « Freud Studies » et pond un polar subtil, assez sanglant, quelque peu rébarbatif par moment, un peu lent dans son développement. Mais ce qu’on peut dire une fois le livre refermé c’est qu’elle a osé !

La trame de l’histoire est belle. L’héroïne, l’enquêtrice, est condamnée à perpétuité pour avoir abattu son mari d’un coup de revolver. Son psychiatre qui la suit en prison depuis neuf ans lui propose de l’aider à obtenir sa libération conditionnelle si elle accepte de réaliser pour lui une enquête dans le milieu de la psychanalyse. Une détective-assassin, l’idée est séduisante ! Le livre est écrit à la première personne. L’héroïne, est manifestement un double de l’auteur, intellectuelle comme elle, blonde et belle comme elle et, comme elle sans doute, enfermée, confinée, à l’isolement… En effet, il n’est pas besoin d’être grand clerc pour deviner que Catherine Gildiner, psychologue clinicienne, américaine et canadienne, probablement formée à la psychanalyse, s’y est sentie contrainte, rétrécie, étouffée. Son héroïne est en prison, elle s’est sentie dans une prison mentale dont elle se libère manifestement par ce roman. Elle annonce d’emblée qu’elle l’a porté dix ans avant de lui donner le jour. Avant d’exploser ? Car elle fait la fête à la psychanalyse !

Le roman a été un best seller aux USA. Sa première édition en France, chez JC Lattés, en 2008, n’a pas véritablement attiré l’attention. Il ressort en 2010 en poche, dans la collection 10/18, juste après le cataclysme Michel Onfray. Et on comprend pourquoi ! La base historique du récit reprend les données régulièrement mises à jour sur l’histoire de la psychanalyse depuis les méticuleuses recherches d’Ellenberger sur les patientes de Freud, jusqu’à la démystification de personnages charismatiques tels que Bruno Bettelheim (par Richard Pollack, par exemple). Et l’on retrouve dans le roman ces différentes mises à jour, ces révélations, lentement exhumées d’un passé lointain et refoulé durant les dernières décennies, potentialisées par l’imagination de la romancière.

L’Association Psychanalytique Internationale décide de financer une enquête pour connaître précisément en quoi consisteront les révélations que l’un de ses dirigeants compte publier sur Freud, le créateur de la psychanalyse. Et les psychanalystes tremblent à l’idée de perdre leur clientèle, leur influence intellectuelle, leur aura… Garderaient-ils encore quelque crédibilité si l’on apprenait que Freud avait abandonné sa théorie de la séduction par calcul, qu’il avait renoncé à dénoncer les attouchements sexuels des pères sur les filles pour ne pas perdre sa clientèle ; si l’on apprenait qu’Anna O n’avait pas été traitée par Breuer mais par Freud, si l’on apprenait enfin que Anna O ne s’appelait pas Bertha Papenheim, mais bien Anna Freud ?…

Et lorsque l’enquêtrice commence à fouiller pour tenter de découvrir le contenu réel des révélations, sitôt qu’elle approche d’un témoin, il est égorgé… Les psychanalystes, dont la théorie implique que la vérité guérit, mettraient-ils toute leur énergie à cacher leur propre vérité, celle de leurs origines ? Jusqu’à assassiner ceux qui risquent de la révéler au grand jour ? Car le meurtrier est non seulement un psychanalyste, mais la psychanalyse incarnée… C’est là sans doute, se souvenant de la violence des attaques contre ceux qui ont osé remettre en cause le dogme, que ce roman sonne juste, même s’il résonne de manière outrée et métaphorique.

Si on retrouve dans le roman certaines découvertes sur l’histoire d’Anna O, si des éléments du récit rappellent les tromperies de Bettelheim, on peut regretter certaines libertés trop criantes prises avec l’histoire réelle. On ne comprend pas par exemple qu’une spécialiste de la psychanalyse laisse entendre que Freud aurait conduit des séances après guerre alors que tout le monde sait qu’il est mort en 1939… Détails, sans doute, mais qui gênent la lecture.

Et ce roman contient aussi quelques idées fortes qui ont récemment fait le bonheur de certains essayistes, comme celle-ci : Freud n’a pas construit ses hypothèses à partir de l’observation de ses patients mais de ses propres singularités et de celles de sa fille. La psychanalyse ne décrit pas le fonctionnement psychique de l’humanité mais de la famille Freud. Et encore une idée qui mériterait un long développement à elle seule : les hypothèses fortes développées par Freud se trouvent résumées dans une lettre de Darwin à son ami Brücke, qui fut aussi le maître de Freud en matière de psychophysiologie…

Si ce polar est aussi un roman à clé, il reste ce qu’il était sans doute au départ, dans son intention, une libération jubilatoire du carcan théorique dans lequel sont trop souvent enfermés les cliniciens.

Tobie Nathan

 

7 réflexions sur “• Les freudiens meurtriers par Catherine Gildiner, la séductrice

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