Les bases psychologiques du terrorisme, du fascisme ordinaire et de la terreur d’Etat
La conférence de Toulouse…
Merci à Joyce Aïn, avec qui j’ai eu l’occasion de travailler il y a fort longtemps; merci pour sa confiance, merci de me donner l’occasion de m’exprimer devant un public de cliniciens. J’ai beaucoup voyagé ces dernières années et mon discours, s’est naturellement imprégné des expériences de mon parcours.
Je voudrais développer devant vous une idée au travers de trois récits, qui sont une illustration de trois manières de laisser s’installer la terreur. Mais avant cela, il me faut prendre quelques instants pour définir les notions.
Il est deux principales causes à la terreur — cette émotion au delà de la peur, qui s’empare de tout l’organisme, paralysant en une même déferlante l’âme et le corps — je les désignerai rapidement en préalable, pour la clarté du propos.
La première est la perception d’une sorte d’ambiance, une atmosphère signifiante, la sensation de devenir un quiconque ; c’est une cause insidieuse, qui s’installe progressivement jusqu’à envahir l’espace mental de la personne, à en figer le fonctionnement, à rendre impossible toute expression singulière. Dans un tel environnement, la pression qui s’exerce sur l’individu chaque instant, dont il perçoit l’intense présence sans pouvoir en analyser les effets, lui faisant perdre ce qui le distingue, le rendant identique à son semblable, je l’appellerai « quiconquisation », puisqu’il s’agit précisément de la transformation d’un quelqu’un en un quiconque, parfois même en un rien.
La seconde cause à la terreur, est la conscience soudaine de l’invasion de son espace propre par un être d’une autre nature — un non-humain ; un animal parfois, mais pour autant qu’il se révèle un être à part entière, au fonctionnement singulier, aux motivations spécifiques et opaques aux humains. Il s’agit ici le plus souvent d’êtres décrits dans la mythologie, des non-humains connus dans la communauté de la personne quoique restant invisibles au commun. Ce sont des esprits, des démons, des diables ou même quelquefois des divinités. Tant il est vrai que la terreur est toujours associée à la rencontre avec les dieux.
L’expérience montre que ces deux causes de la terreur sont très souvent associées, entrelacées ; il est rare que l’on rencontre l’une sans l’autre. Avant d’entrer plus avant dans leur description, quelques distinctions s’imposent.
Il nous faut distinguer la terreur, qui jette à terre, qui terrasse, de la frayeur d’une part, qui est une émotion tout aussi intense, mais instantanée, agissant comme un coup porté à l’âme, produisant des séquelles, également nommées « traumatismes ; de la peur d’autre part, plus proche d’un sentiment, qui s’inscrit dans la durée, qui tient la conscience en éveil, lui rappelant sans cesse l’imminence d’un danger. Si des trois (la terreur, la frayeur et la peur), la peur est sans doute le sentiment le plus élaboré, pouvant s’installer à l’issue d’un raisonnement, la frayeur en est à peine l’ébauche, brisant l’élan de la pensée sur le point de s’épandre. Quant à la terreur, elle est l’impossibilité de toute expression, y compris celle de la peur.
C’est donc la terreur, cette invasion émotive qui rend tout sentiment impossible, cette vague de sensations dévastatrices, qui se voit instrumentalisée par une action politique appelée justement « terrorisme ».
Le terrorisme est le déclenchement délibéré d’une sensation permanente de terreur pour atteindre des objectifs politiques. C’est par la terreur de la victime que le terrorisme parvient à ses fins. Il nous faut donc préciser dans ces prolégomènes que le terrorisme tire son efficacité politique de la manipulation des fonctionnements psychologiques de la cible. Tel le judoka utilisant la force physique de l’adversaire, le terrorisme est avant tout une arme psychologique basé sur l’exploitation des processus psychiques de la victime.
Ainsi, l’attaque des twin towers à New-York le 11 septembre 2001, où El Qaïda retourne contre les États Unis trois de ses propres avions, peut-elle être considérée comme la quintessence de l’attaque terroriste, condensant dans une même action l’utilisation de la peur de la cible et celle de ses propres moyens techniques ; redoublant pour ainsi dire le principe même du terrorisme, qui est d’utiliser les ressources de l’adversaire contre lui-même. L’attentat du 11 septembre réalise cet objectif tant dans la sphère psychique que dans la sphère technique.
Il existe, disais-je, deux formes de terrorisme, s’étayant sur les deux mécanismes de terreur que je décrivais pour commencer. L’un agit par intrusion et de manière ponctuelle, même si les actions terroristes proprement dites peuvent se répéter des dizaines, voire des centaines de fois. Celui là poursuit un objectif précis. C’est ce terrorisme qui cherche à obtenir la satisfaction de revendications précises, d’ordre politique : la libération de camarades de combat, l’obtention d’une rançon, l’expression d’une faction politique dans la sphère publique. L’autre, terrorisme au long cours, fait irruption dans la vie sociale de manière inattendue, surprenant les membres d’une communauté, d’une profession ou de toute une nation. Il s’installe ensuite à demeure, subrepticement, sans prévenir. C’est ainsi que tout un pays peut un jour prendre conscience qu’il vit sous un régime de terreur depuis des années, sans le savoir. C’est ce terrorisme qui se déploie dans la durée, qui entend soumettre de grands groupes structurés, se saisir des leviers de commande de l’état…/…