• Les âmes errantes

Présentation (par l’éditeur)

Couv_AmesErrantes2En septembre 2014, l’État confie à Tobie Nathan le suivi d’une cinquantaine de jeunes radicalisés. Un an et demi plus tard, il rend un rapport, mais veut poursuivre la réflexion. Un livre est nécessaire. Trop de clichés sont colportés, trop d’idéologies brandies, trop de fausses réponses apportées. Qu’on pense à l’échec des centres dits de « déradicalisation ». Ou au célèbre « Expliquer, c’est déjà excuser » de Manuel Valls.

Quarante ans passés auprès des migrants, trois ans de consultations avec les jeunes radicalisés. Peu d’intellectuels ont pu les approcher aussi intimement. Il en dresse des portraits ciselés, touchants, empathiques. Tobie Nathan a mis à profit l’expérience d’une vie pour sonder ces âmes errantes et baliser pour elles un « éventuel chemin de retour ». Plus encore ! Il les approche « en frère ». Lui, le Juif, le migrant, l’enfant des cités, le révolté de Mai 68, se retrouve dans cette jeunesse d’aujourd’hui, engagée, combative, sûre de ses idéaux et de sa place dans l’Histoire. Jeu de miroirs entre radicaux d’hier et d’aujourd’hui : « Je leur ressemble », dit-il.

Extrait :

Je raconte ce que j’ai entendu, ce que j’ai senti, perçu, conçu en les rencontrant. Je veux comprendre les dynamiques qui font passer, en quelques semaines ou quelques mois, de l’ignorance d’un délinquant de cité fumeur de shit à l’expertise d’un philosophe des hadiths ; de la naïveté d’une gamine, coquette des beaux quartiers, à cette voilée belliqueuse en quête d’un mari à kalach ; de l’innocence d’un jeune lycéen studieux à l’engagement d’un djihadiste en route pour les zones de combat en Syrie. L’histoire des radicalisations n’est pas celle des “natures”. Elle est faite de métamorphoses, de moments d’immobilité interdite et d’ivresses soudaines à l’idée des lendemains.

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https://www.24heures.ch/culture/livres/tete-candidats-djihad/story/11837359

 Dans la tête des candidats au Djihad

BILAN — Le psychologue Tobie Nathan livre son analyse du processus de radicalisation, après trois années de consultation auprès de dizaines de jeunes Français attirés par les thèses extrémistes.

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Il y a ceux qui reviennent. Et qui font l’actualité dans la mesure où leur retour même pose problème. Djihadistes partis rejoindre Daech sur les terres de l’ex-Etat islamique autoproclamé, on les dit potentiellement dangereux, formatés qu’ils sont à diverses formes de violence extrême. Il convient donc de les déradicaliser. Question: quelles institutions peuvent maîtriser – réellement et durablement – les règles de la déradicalisation? Avant de pouvoir œuvrer dans cette voie, ne devrait-on pas, au préalable, comprendre ce qu’a été, pour ces centaines de jeunes candidats djihadistes, le processus de radicalisation?

C’est ici qu’ intervient Tobie Nathan: voilà un homme discret, hors du circuit médiatique et qui fait pour nous le bilan de quelque trois années de consultation avec plusieurs dizaines de candidats au départ vers la Syrie ou l’Irak. Dans le secret de son cabinet, le psychologue a écouté et scruté ces «âmes errantes». Des âmes errantes, oui, car il s’agit, dit Tobie Nathan, de jeunes êtres humains qui n’ont pas – ainsi qu’on le croit souvent – un profil type d’adhérent aux thèses extrémistes islamistes. Ce sont des garçons – et des filles – qui, dans leur majorité, présentent une fragilité existentielle caractéristique: leur histoire familiale souffre d’une appartenance culturelle totalement défaillante liée à la première génération, celle des parents, tandis que la leur, de génération, est qualifiée par l’auteur de «filiation flottante». Ainsi, ces «âmes errantes», nullement liées par le passé, totalement déconcertées par le présent, deviennent, pouruntrèsproche avenir, desproies toutes désignées pour ceux qui rôdent autour d’eux, ces recruteurs, ces «chercheurs d’âmes errantes».

Et le processus s’enclenche mécaniquement chez ces jeunes âmes, lesquelles, ainsi que le décrit Tobie Nathan, «perçoivent dans le prosélytisme islamique une invite personnelle, une parole adressée en propre, telle une promesse d’une réparation». «Enfin! concluent ces âmes en errance, voilà des gens pour qui mon existence présente un intérêt.»

En cause: une «filiation flottante» S’impose alors une conversion qui ne se différencie guère d’une prise en charge psychiatrique. Attention, remarque l’auteur, qui cite de nombreux cas de jeunes djihadistes sans jamais donner leurs prénoms ou noms – secret médical oblige -, ne croyons pas que cette démarche «identitaire» ne concernerait exclusivement que de jeunes musulmans. Sont aussi sensibles à l’appel de radicalité diverses catégories d’enfants de migrants, au sens large du terme: Antillais, Africains, métis, enfants de couples interculturels, toutes et tous victimes de cette «filiation flottante» qui est à la base même de leur fragilité.

Conclusion de Tobie Nathan, qui révèle avoir connu, lui aussi, dans sa première jeunesse, le déracinement et la discrimination: nous devons admettre que la radicalité de tous ces jeunes résulte de la difficulté grandissante de nos sociétés à intégrer la différence. «Rien ne sert d’exhorter ces âmes errantes à la raison, plaide t-il, il faut les lire, comme autant de signes révélateurs de ce qui se passe dans nos sociétés.» En somme, afin d’éviter que ces âmes errantes soient «à prendre», il nous faut – d’abord – les «comprendre».

Créé: 19.04.2018, 11h00. Retrouvez plus d’articles Bilan sur www.bilan.ch (24 heures)

en poche

LES ÂMES ERRANTES

TOBIE NATHAN

Dans le secret de son cabinet, le psychologue Tobie Nathan accueille des jeunes en danger de radicalisation. Il écoute. Leurs histoires, leurs mères éplorées, leurs pères perdus. Et tout ce qu’ils ont à nous apprendre sur le monde tel qu’il est. Aucun penseur ne les a connus de si près. Aucun n’a osé dire qu’il leur ressemblait. Se raconter, se mettre à nu pour faire revenir les « âmes errantes », est un pari risqué. Le seul qui lui semblait valoir la peine d’être tenté.

192 pages au Livre de Poche
Édition originale : Paris, L’Iconoclaste

« Je veux comprendre les dynamiques qui font passer, en quelques semaines ou en quelques mois, de l’ignorance d’un délinquant de cité fumeur de shit à l’expertise d’un philosophe des hadiths ; de la naïveté d’une gamine, coquette des beaux quartiers, à cette voilée belliqueuse en quête d’un mari à kalach ; de l’innocence d’un jeune lycéen studieux à l’engagement d’un djihadiste en route vers les zones de combat en Syrie. »

Tobie Nathan, Les âmes errantes

Recension

Dans Politique étrangère 2017/4 (Hiver)

Tobie Nathan, Les âmes errantes, Paris, L’Iconoclaste, 2017, 256 pages

Tobie Nathan, professeur émérite de psychologie à l’université Paris 8, est connu pour avoir fondé le premier centre d’ethnopsychiatrie en France. Son parcours est marqué par de multiples expériences internationales : il a grandi en Égypte et a occupé différents postes en Afrique (directeur du bureau régional de l’Agence universitaire de la Francophonie à Bujumbura, conseiller culturel à Conakry) et au Proche-Orient (conseiller culturel à Tel Aviv). Auteur prolifique, récompensé par le prix Fémina de l’essai en 2012, il se penche dans son nouvel ouvrage sur un sujet d’actualité : la radicalisation.

Pendant trois ans, Tobie Nathan a suivi des jeunes fascinés par le djihadisme. Les Âmes errantes relate cette expérience de façon étonnante. Il ne s’agit pas d’un livre scientifique qui exposerait précisément la méthodologie utilisée, tenterait d’établir des typologies, et proposerait des dispositifs de prise en charge. On ne sait pas, par exemple, combien de patients ont été suivis, par quel biais ils ont été orientés vers le centre d’ethnopsychiatrie de l’auteur, ni la manière dont se sont déroulés les entretiens. Mélange de réflexions, d’observations et de souvenirs personnels, cet ouvrage est un objet littéraire non identifié. Dans l’épilogue, l’auteur explique que ce livre lui « tenait au ventre » et qu’il continue à lui « nouer les tripes ». Ce rapport viscéral à l’écriture se ressent, page après page.

La prose de Tobie Nathan est empreinte d’érudition, teintée de mysticisme, parfois absconse. Mais la ligne directrice est claire : les « âmes errantes » dont parle le psychologue sont souvent marquées par un double déficit. D’une part, une « appartenance culturelle défaillante à la première génération », généralement en situation de migration. D’autre part, une « filiation flottante » à la deuxième génération. Ainsi croise-t-on dans cet ouvrage des personnages au parcours compliqué, comme cet orphelin du Congo, bouc émissaire de son village, ramené en France par une grand-tante et qui, devenu islamiste radical, guette anxieusement les signes de la fin des temps. Ou ce jeune homme né en France de parents tchèques, converti à l’islam, qui implore Allah d’épargner à sa mère chrétienne les affres de l’enfer.

Les âmes errantes, « sans attachement », sont des proies faciles pour les « chasseurs d’âmes ». Ces derniers ne sont autres que les recruteurs de Daech. Tobie Nathan ne les présente pas comme des gourous qui laveraient le cerveau de leurs victimes, mais comme des activistes porteurs d’un projet révolutionnaire. Ainsi les cliniciens qui prennent en charge les jeunes séduits par Daech doivent-ils être conscients de la dimension politique de leur radicalisation.

L’auteur conseille également aux praticiens d’abandonner le concept de « traumatisme » qui met « l’accent sur les faiblesses des victimes, en gommant leur révolte, en leur interdisant l’expression de leur désir de vengeance ». Tobie Nathan ne prétend pas avoir une solution miracle pour permettre aux radicalisés de reprendre une vie normale. Il suggère toutefois que ni la compassion, ni les appels à la raison ou à la loi ne peuvent fonctionner. Il propose une troisième voie, qui consiste à « constater l’intelligence des êtres et des forces », et à échanger patiemment avec ces jeunes pour les faire réfléchir aux questions existentielles qu’ils se posent. Si cet ouvrage ne convainc pas forcément, il interpelle, et ne saurait laisser indifférent.