Dans La Libre Be du 26 septembre 2016
Un article de Eric de Bellefroid:
L’étrange théâtre de nos songes
Entrer dans « Les Secrets de vos rêves » avec Tobie Nathan. L’exploration d’un univers onirique à interpréter au-delà des évidences.
Rêver un impossible rêve, au bout d’une espèce de quête inaboutie de l’inaccessible étoile. Parmi « les forêts touffues de nos nuits« , comme dit aussi Tobie Nathan (Le Caire, 10 novembre 1948), psychologue émérite, héritier de Georges Devereux, fondateur de l’ethnopsychiatrie. Tobie Nathan qui élucide pour nous les secrets de nos rêves, cette perpétuelle aventure noctambule dont on se réveille, au petit matin, échevelé, ébouriffé, hagard. Sans directement percevoir le sens de cette mise en scène, mais en saisissant parfaitement, décidément, que l’inconscient est tellement plus inventif que l’état d’éveil. Le rêve, en somme, serait plus intelligent que le rêveur.
« Dormir, c’est mourir un peu », on le savait, mais c’est également renaître aussitôt. Dût-il tirer de son dernier livre une certitude, le Pr Nathan affirme qu’« on rêve de questions fondamentales, de philosophie de la vie, de métaphysique ». Le couple y est omniprésent : « En rêve, nous sommes tous polygames, tant les hommes que les femmes… Non parce que le rêve autorise l’expression de pulsions perverses, comme on nous l’enseignait naguère encore, mais du fait qu’il brasse inlassablement les possibles ». On passe en revue les chances qu’on n’a pas saisies, ou auxquelles on aurait renoncé.
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Dans Libération du 24 septembre 2016
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Apprenez à décrypter vos rêves !
Publié le 23 septembre 2016 à 21h30

Apprenez à décrypter vos rêves ! © Getty Images
L’interprétation des rêves demande un certain savoir-faire et beaucoup de bon sens. L’ethnopsychiatre Tobie Nathan nous l’apprend… et nous laisse songeur.
« LE RÊVES NE S’ATTARDE PAS SUR LES PETITS DÉTAILS DU QUOTIDIEN, MAIS POSE LA QUESTION DU SENS PROFOND DE NOTRE EXISTENCE. » TOBIE NATHAN
ELLE. Avez-vous déjà essayé avec des problèmes de votre vie quotidienne ?
Tobie Nathan. Bien sûr. Mais, avant de s’endormir sur une question, il faut arriver à la formuler de manière claire. Certains le font spontanément, comme la rêveuse dont je parle dans mon livre, qui pose des questions à sa tante morte avant de s’endormir. Cela peut être vraiment trivial, comme : « Est-ce que le mec qui m’a regardée au boulot a des sentiments pour moi ? » Mais la difficulté, c’est que sa tante ne lui répond jamais directement. Elle peut dire par exemple : « Prends garde aux champignons ! »

Elle du 23 septembre 2016
ELLE. C’est ici qu’intervient la délicate mission d’interprétation. Vous dites que les dictionnaires de rêves ou de symboles sont bidon…
Tobie Nathan. Oui, parce qu’on ne peut pas interpréter un rêve de manière automatique. Ces symboles sont des consensus culturels à un moment donné de l’histoire. Prenons l’exemple d’une phrase fameuse dans « Œdipe roi », de Sophocle : Œdipe commence à avoir de plus en plus de doutes sur le fait que sa femme est en réalité sa mère. À un moment, elle lui dit pour le rassurer : « Arrête avec tes questions, bien des hommes ont rêvé qu’ils s’accouplaient avec leur mère. » Généralement, on se sert de cette phrase pour montrer que le désir incestueux existe de manière universelle. Mais cela fait quarante-cinq ans que j’écoute des patients, et jamais je n’ai entendu ce rêve-là. Parce que cela n’existe pas chez nous. Et dans la culture grecque, à cette époque, cela avait un sens codé : coucher avec sa mère, c’était revenir dans la terre patrie… Cela change tout !
ELLE. Pourtant, ces interprétations sont toujours vivaces…
Tobie Nathan. Oui. Le plus ancien livre d’interprétation des rêves dont nous disposons est celui d’Artémidore d’Éphèse et date du IIe siècle. C’est un livre fabuleux qui a été pillé sans arrêt… jusqu’à toutes les explications simplistes que l’on trouve aujourd’hui sur Internet ! Les gens ont très peu d’imagination pour l’interprétation. C’est un art très difficile.
ELLE. De quoi rêve-t-on le plus ?
Tobie Nathan. Des grands choix de vie, des embranchements importants. Par exemple, on rêve beaucoup de son ex, de celui ou de celle qu’on a quitté(e). C’est un aliment typique pour le rêve qui pose sans arrêt cette question de fond : quelle est ma stratégie de vie ? Aurais-je pu en choisir une autre ? Suis-je passé à côté de quelque chose ? Le rêve ne s’attarde pas sur les petits détails du quotidien, mais pose la question du sens profond de notre existence.
ELLE. Et si un rêve se répète à l’identique chaque nuit ou presque ?
Tobie Nathan. C’est qu’il n’a pas été entendu. Cela peut durer des années… Surtout quand il n’est pas interprété par un tiers et qu’on ne sait pas quoi en faire. On peut imaginer que ces rêves-là impliquent trop de changements profonds. Par exemple, un rêve qui dirait : « Tu t’emmerdes avec ton mari, tu dois te trouver autre chose dans la vie », ce n’est pas simple à entendre !
ELLE. Alors qui peut nous aider à décrypter un rêve… Un psy ?
Tobie Nathan. Un psy, pourquoi pas, s’il est ouvert à la question de façon pas trop théorique. Ou un prof, un maître, un guide, quelqu’un de bienveillant dont vous reconnaissez l’influence. Dans le Talmud, il y a une centaine de pages sur l’interprétation des rêves. On lit qu’à une époque il y avait vingt-quatre interprètes de rêves à Jérusalem. Un homme voulait savoir s’il s’agissait de gens sérieux. Alors il est parti raconter son rêve aux vingt-quatre interprètes. Et il a reçu vingt-quatre interprétations différentes. Conclusion très drôle du texte : « …Et elles se sont toutes réalisées » !
ELLE. Quelle différence faites-vous entre le rêve et la prémonition ?
Tobie Nathan. Tous les rêves sont prémonitoires en un certain sens puisqu’ils fabriquent des hypothèses pour l’avenir. Mais l’avenir ne sera jamais exactement identique à ce qui a été rêvé. Si je rêve que mon enfant est mort ou que mon mari s’est noyé, je peux craindre que cela ne se passe réellement. D’où l’importance d’avoir un tiers pour analyser le rêve. Mais l’interprétation n’est pas une science exacte, c’est de l’art! Il faut avoir l’idée qui dénoue le rêve. Par exemple : « Tu as rêvé que ton enfant allait mourir, c’est en réalité qu’il va quitter la maison et qu’il faut que tu t’y prépares, voyons dans ton rêve quelles pistes te sont proposées pour cela… »
ELLE. Quelle clé pouvez-vous donner quand même pour approcher un peu le sens de son rêve ?
Tobie Nathan. Faire attention aux détails qui dénotent dans l’histoire, logiquement, sans chercher des symboles ou des trucs compliqués. Dans un rêve que je raconte dans mon livre, une femme est agressée par un homme et se dit : « Je ne peux pas me défendre. Ah, si, j’ai ma lime à ongles ! » C’est curieux, comment se défendre avec une lime à ongles? Si on considère que la séduction est une arme, ça marche. Voilà une piste. Souvent, les clés sont à portée de main. Mais rien ne remplacera jamais l’écoute extérieure, ni les conseils concrets, comme je le fais dans mon livre, du type « Va te baigner dans une source de ton enfance ». Cela déclenche une énergie fantastique !
« Les secrets de vos rêves », de Tobie Nathan (éd. Odile Jacob).
Cet article a été publié dans le magazine ELLE du vendredi 23 septembre 2016.
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État d’esprit avec Noëlle Breham sur France Inter le dimanche 25 septembre

France Inter avec Noëlle Breham
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Un moment de rêve avec Flavie Flament sur RTL le 19 septembre 2016
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un moment matinal avec Jean-Jacques Bourdin le 14 septembre 2016
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et…
une ITW parue dans l’OBS n° 2705
Qui détient la clé de nos songes ?
Le psychologue Tobie Nathan publie « les Secrets de vos rêves » (Odile Jacob), un manuel à l’usage des rêveurs qui veulent percer le mystère de leurs visions nocturnes.
PROPOS RECUEILLIS PAR SYLVAIN COURAGE
Illustration d’ÉLOÏSE ODDOS
Comment en êtes-vous venu à vous intéresser au rêve ? Est-ce vraiment un objet d’étude ?

Dans l’OBS du 8 septembre 2016
Nous autres, modernes, avons tort de négliger le rêve, ce brainstorming installé au cœur de nos nuits, qui nous permet de trouver des solutions inattendues, d’inventer, de nous renouveler… Mon livre est un plaidoyer pour se ressaisir de cette fonction.
Autrefois, on prêtait au rêve — ailleurs on lui prête toujours — des vertus divinatoires. Au XVIIème siècle, la chasse aux sorciers — surtout aux sorcières —, au XVIIIème un culte naïf de la raison, ont presque eu raison de lui. Fin du XIXème, début du XXème, Freud l’a invité, non sans mal, dans l’univers scientifique. Mais il a privilégié une interprétation des rêves tournée vers le passé — traumatismes de l’enfance, désirs refoulés… J’ai fait mes classes, au sein de cette pensée freudienne qui est devenue immensément populaire. Mais des progrès dans plusieurs disciplines ont modifié mon approche. Et avant tout la neurologie qui a montré que durant le sommeil paradoxal, au moment où on est parvenu au plus profond du sommeil, alors que notre corps est paralysé, le cerveau se réveille, les yeux sont en mouvement et le sexe en érection… celui des hommes comme celui des femmes. C’est dans cet état, purement instinctif, que surviennent les rêves les plus longs et les plus élaborés. Le rêve ne peut par conséquent être l’expression d’un désir, puisqu’il est une machinerie automatique — car on ne peut pas ne pas rêver ! Quatre à cinq fois par nuit, inéluctablement, se reproduit cette phase de sommeil paradoxal.
Comment l’ethnopsychiatrie dont vous avez fait votre spécialité contribue-t-elle à mieux comprendre les rêves ?
Depuis 45 ans, je m’occupe de patients immigrés. J’ai ouvert une consultation spécialisée et un centre universitaire consacré à l’ethnopsychiatrie. J’ai découvert avec mes patients des univers, des modes de pensée et d’action — autant de manières d’interpréter les rêves. Dans certains univers, amérindien notamment, le rêve joue un rôle capital. Là, rien ne peut survenir dans le monde qui n’ait auparavant été rêvé par une personne. À l’inverse de notre pensée, c’est le rêve qui confère la réalité aux événements et qui conditionne les comportements des hommes.
Mais nous ne sommes pas des indiens d’Amérique ! S’il ne prédit pas l’avenir comme le pratiquent les shamans et s’il n’est pas l’expression de désirs refoulés comme l’a postulé Freud, à quoi peut bien servir le rêve, selon vous ?
Des expériences ont montré que le rêve ne sert ni à fixer la mémoire, comme on l’a longtemps cru, ni à évacuer les tensions de la journée. Des approches cognitivistes ont montré de manière expérimentale que le rêve contribuait puissamment à la résolution de problèmes ou d’énigmes posés au rêveur avant son sommeil. C’est ce qui m’a mis sur la voie. J’ai acquis la certitude que le rêve est une machinerie destinée à inventer des solutions imprévues. Combinant de manière aléatoire fragments d’images, restes visuels, sonores et même olfactifs et pensées, notre cerveau produit ces petits films singuliers que sont nos rêves où nous sommes quelquefois acteurs, toujours spectateurs et jamais réalisateurs. Impressionné par ce qui lui a été donné à voir, le rêveur n’a de cesse que de trouver une signification à son rêve. Fonction complexe, qui produit du neuf surprenant et contraint le rêveur à en chercher le sens chez un tiers. Comme vous pouvez l’imaginer, de multiples interprétations sont possibles pour chaque rêve. C’est que le rêve n’a pas de signification prédéfinie ; il constitue une contrainte à l’interprétation. Nous devons en conclure que le rêve est une activité mentale qui débute au cœur de la nuit, se poursuit silencieusement durant la veille jusqu’à rencontrer un tiers par la parole duquel il s’accomplit. De ce point de vue, on pourrait dire que tout rêve est prémonitoire, car il tend vers le lendemain.

Tobie Nathan Paris 2016
Comment abordez-vous ce travail d’interprétation ?
Les gens m’adressent par e-mail des récits de rêves par l’entremise du mensuel Psychologies Magazine. Je m’entretiens longuement avec eux au téléphone. On fait le chemin à rebours, remontant du récit aux fragments d’images, puis aux pensées jusqu’à saisir le problème que tente de résoudre ce rêve-ci. Ce sont le plus souvent des rêves récurrents, qui se répètent et nous angoissent par leur insistance. Je n’ai accompli ma tâche que si j’ai pu prescrire une action, un geste ou une parole, qui libèrera le rêveur de l’emprise de son rêve.
Dans tous les cas, le rêve nous met en contact avec nos forces vives, notre capacité à inventer des solutions nouvelles. Ce serait dommage de s’en passer…