Tapis de yoga

Un p’tit coin de paradis

Tobie Nathan publié le 03 juin 2021

En gagnant en popularité, le yoga a peut-être perdu un peu de son âme. Et si un simple objet, le tapis sur lequel les pratiquants se mettent dans la posture du lotus, lui permettait de conserver une assise spirituelle ?

Dans Philosophie Magazine N°150 — juin 2021

On peut les voir se rassembler dans les parcs et jardins, à bonne distance – un mètre cinquante, deux mètres l’un de l’autre, Covid oblige –, aux Buttes-Chaumont, aux Tuileries ou au Jardin d’Acclimatation à Paris, mais aussi dans le jardin de l’église Saint-Pierre à Bordeaux ou encore dans celui du musée Sandelin à Saint-Omer… partout où un petit coin de verdure s’est taillé une place dans la ville. Ils étendent leur tapis d’une jolie couleur pastel, seuls face à une statue, en étoile autour d’un guide ou sagement alignés, en rangées de cinq ou six, comme à l’école. Ils sont en tenue de sport, tee-shirt moulant et leggings, pieds nus. Parmi eux, beaucoup de femmes, jeunes et moins jeunes, mais aussi des hommes, quelquefois des enfants… Je les observe de loin. Mais que font-ils au juste ? 

Ils se mettent dans la posture du lotus, ferment les yeux, un long moment. Respirent profondément, se détendent, referment les yeux… Puis, ils se lèvent, roulent leur tapis et le rangent dans un sac de même couleur qu’ils s’arriment sur le dos. Ils repartent avec un bref salut, à quelqu’un, à la nature, au soleil…

Le tapis, la concentration, l’attitude, les yeux fermés… ça m’a tout l’air d’une prière. Eh bien non ! Ils méditent ! Yoga ou méditation de pleine conscience – si c’est une prière, c’est une prière sans dieu !

Le yoga est à la mode. En France, il compte 2,6 millions de pratiquants. La méditation, elle, au moins 1 million – mais le marché s’étend chaque jour, il est évalué à plus de 1 milliard de dollars aux États-Unis. Pourquoi un tel succès ? Si l’on en croit ceux qui s’y adonnent, il s’agit d’évacuer le stress – celui du boulot, des charges familiales, de la pandémie –, de soigner ses douleurs, d’entretenir son corps… Peut-être est-ce la motivation consciente, mais, à l’arrière-plan, il est possible qu’il s’agisse aussi de l’aboutissement de ce que Marcel Gauchet a appelé « le désenchantement du monde ».

Tout a commencé par Charcot, qui a retiré le diable aux possédées, les abandonnant à l’hystérie, puis a été poursuivi par Freud, qui taxait les rituels religieux de « névrose obsessionnelle de l’humanité ». On a ensuite fait subir le même sort aux substances psychotropes. Jusqu’aux feuilles de coca, don de la déesse Mama Quilla (« Mère Lune »), qui a répandu l’arbuste sacré sur la terre andine pour soigner les maladies des hommes, prévoir l’avenir et entrer en relation avec les dieux… Les feuilles de coca sont devenues de simples vecteurs d’alcaloïdes et des multiplicateurs de dollars pour bandits colombiens. La modernité s’est acharnée à supprimer les dieux. Et même ce philosophe, qui se dit chrétien, pourtant, à qui je demandais s’il croyait au Christ et qui m’a répondu : « Quand même pas ! »

Alors, on a fait la même chose avec le yoga : plus de mantra ni de tantrisme, disparu la kundalini, le serpent érotique lové dans la colonne vertébrale. Rien que le bienfait des postures, du contrôle de la respiration, de la maîtrise des « muscles profonds »…

Mais il reste le tapis… objet pratique ou « tapis de prière » à l’image de celui des musulmans ? Il semble que les objets résistent mieux à l’éradication que les idées. Le tapis reste un coin de paradis. 

—> Dans Philosophie Magazine, N° 150, juin 2021

Les Secrets de vos rêves

Nouvelle édition de poche

Odile Jacob, 2021

S’appuyant sur une conception actuelle du rêve qui tient compte des avancées les plus récentes des neurosciences, ce livre se veut surtout manuel pratique, fournissant les pensées théoriques indispensables, les modalités concrètes de l’interprétation tout en s’étayant sur des très nombreux exemples réels.

Illustré par une dessinatrice exceptionnelle, Héloïse Oddos, chaque rêve interprété est accompagné d’une représentation qui est en elle-même, œuvre d’art et d’interprétation.

Dessin Héloïse Oddos

À la manière des clés des rêves de l’antiquité, notamment celle d’Artémidore de Daldis, je présente ici une méthode d’interprétation — non pas un dictionnaire qui permettrait de « traduire » terme à terme image du rêve et objet correspondant du monde sensible… Non ! Car je sais qu’un tel dictionnaire est impossible ! Mais une méthode, étayée sur des exemples réels issus de ma pratique.

Avant cela, je précise pourquoi, du fait même des découvertes importantes des neurosciences, interpréter un rêve est toujours pertinent et utile. Non pas qu’un rêve possède une signification inscrite dans un espace autre (l’inconscient, le symbolisme universel ou je ne sais quoi…), mais parce que tout rêve constitue une contrainte à l’interprétation. Car le rêve impose un regard renouvelé sur le monde et contraint à rechercher le message qu’il véhicule dans la parole d’un tiers.

Le rêve est l’objet naturel, le plus largement partagé, puisque chacun rêve 4 à 5 fois chaque nuit, toutes les 90 minutes en une durée à peu près équivalente à travers le monde — et cela quelle que soit la culture, quelle que soit la langue, quel que soit le pays et sa situation politique. Le monde est donc un immense champ d’expérimentation de ce qu’on peut faire du rêve.

Ce livre fait aussi appel aux concepts issus de l’observation du traitement du rêve dans les sociétés éloignées. En voici quelques uns :

Interactions

Je définirai le rêve ainsi : une activité mentale expérimentale qui débute au cœur de la nuit, se poursuit silencieusement durant la veille jusqu’à rencontrer un tiers — l’interprète — qui lui permet son accomplissement… D’où il faut bien déduire que l’interprétation est encore plus importante que le texte du rêve.

On pourrait aussi le dire à la manière des traditions indiennes d’Amérique : Le rêve est une dette contractée la nuit à l’égard de la vie éveillée. Qui veut se débarrasser des effets nocifs du rêve est tenu d’accomplir une action. Et s’il le fait correctement, alors on peut dire que le rêve s’est accompli. La clôture d’un rêve de la nuit est une action réelle dans la vie éveillée.

C’est pourquoi chacune des interprétations que je rapporte ici se termine sur un conseil adressé au rêveur d’une action à accomplir, d’une modification d’un lien ou d’une attitude…

Le rêve, un espace de rencontre

Le rêve est cet espace de la vie où il est courant de croiser des êtres, d’une réalité parfois saisissante, mais qu’il est impossible de rencontrer ailleurs. Je veux parler des divinités, des êtres mythiques, mais aussi — et surtout — des morts.

Le rêve prescrit

Le rêve contient parfois — souvent, peut-être — une prescription, des façons d’être, des façons de se comporter, des solutions aux problèmes de l’existence traînés longtemps comme un fardeau.

Des rêves et leurs interprétations

Le livre contient, je l’ai dit, de nombreux exemples issus de ma pratique. Il traite de manière approfondie quelques types très répandus de rêves : rêves d’angoisse, de processus, rêves se révélant comme des « êtres autonomes », qui envahissent l’espace mental, imposent pensées et actions, rêves de morts, rêves d’êtres mythiques…

Pas moins de trente cinq interprétations de rêves jalonnent le texte de ce livre.

L’interprétation du rêve

Qu’apprend-on à la lecture de ce livre ? D’abord que le rêve n’est jamais la photographie d’un passé ; il ne fait aucun constat, il n’établit rien, il ne se souvient pas, même s’il fait réapparaître des scènes du passé — non ! Il cherche des solutions, imagine de nouveaux univers — il est donc nécessairement préfiguration d’un avenir.

Il n’est alors pas étonnant que cette nouvelle construction contienne souvent une pré-vision de ce qui surviendra le lendemain. Et lorsqu’il rencontre un interprète, il devient pré-diction.

Le rêve, il faut le savoir, est donc toujours gros d’une nouvelle idée, d’une nouvelle pensée, d’une nouvelle solution, même s’il s’agit d’un ancien problème. C’est à l’interprète de l’accoucher…