Michel Boujenah

en consultation avec

Tobie Nathan

Adresse à Michel Boujenah :

Extraordinaire auteur, metteur en scène, one-man-show-man, écrivain, penseur, aussi… Je vais vous dire pourquoi je dis ça.

Michel Boujenah, quand j’évoque votre nom, je repense à toutes les fois où j’ai éclaté de rire en regardant l’un ou l’autre de vos spectacles. Mais éclaté de rire, vraiment ! Un rire incoercible, qui prend au ventre… Encore l’autre jour, je suis allé voir les Adieux aux Magnifiques, et là aussi, j’ai éclaté de rire. Mais je dois le dire, à chaque fois, après le rire, je ressens une tristesse. Je la ressens en moi, une peu comme une tristesse en miroir, triste de vous avoir senti triste, autrement dit, persuadé à chaque fois que vous l’étiez aussi.

Alors, triste de quoi ?

Triste de devoir terminer le spectacle, peut-être, parce que sur scène, franchement, vous êtes le roi ! La scène vous appartient, le public aussi ! Vous vous défoncez ! Une véritable démonstration sportive. D’abord, vous parlez pendant je ne sais pas… près de deux heures, sans vous arrêter une minute… vous allez, vous venez, vous sautez comme un ludion, vous êtes présent, en empathie, généreux, intense… Vous passez d’un personnage à l’autre sans qu’on ne s’en aperçoive. Vous jouez à être vous, sans doute, vous d’autrefois, jeune immigré paumé, puis vous êtes sa mère, aussi, son copain, tunisien comme lui ou le nouveau copain qu’il s’est fait dans l’école française. Vous êtes la vieille dame qu’est devenue sa mère, l’arrière-grand-père que vous êtes peut être devenu ou que vous deviendrez bientôt… Vous êtes chacun, en profondeur, sans doute tous à la fois — ou, je dirais plutôt que, tous assemblés, ils donneraient une image, plus probablement une facette de Michel Boujenah.

Alors pourquoi triste ? Triste de les perdre bientôt tous ces personnages, scintillements de vous-même à qui vous prétendez dire adieu. On ne  vous croit pas, soit dit en passant. Vous les aimez trop. On a l’impression qu’ils ont plus de réalité, eux, personnages imaginaires, que n’importe quel personne réel. On vous sent triste d’avoir perdu quelque chose, en tout cas, une image de vous que vous n’auriez jamais su attraper, que sais-je, triste, peut-être d’avoir perdu la Tunisie… Je ne sais pas…

Tout le monde sait tout de vous, sans rien savoir en vérité, vous qui avez choisi de vous mettre en scène pour vous cacher ; vous cacher derrière Michel Boujenah. Alors, si vous l’acceptez, je vais vous proposer une interview intello.

Parce que, j’en suis persuadé, c’est ce que vous, êtes, Michel Boujenah, un intellectuel, plein d’idées…

On peut visionner l’Interview ici :

Taxi volant

Voyage dans le ventre de la mère

Tobie Nathan 

Ce véhicule devrait être mis en service lors des jeux Olympiques de 2024. Il promet de nous faire planer au-dessus des grandes métropoles dans un confort absolu. Comme l’enfant flottant dans le liquide amniotique ?

Dans le ventre de ma mère, flottant dans le liquide amniotique, j’étais transporté, tout choc amorti, dans un confort absolu… Cette période s’est inscrite à jamais dans mes neurones les plus archaïques comme modèle du transport idéal, parfait. Parce qu’après ce portage idyllique, il y eut un cataclysme, une expulsion de la capsule originelle, avant d’être livré sans défense aux violences de la gravité. Tout commença, je m’en souviens, par une petite claque sur les fesses.

Des récits extraordinaires ont entretenu mon illusion d’y revenir, de me débarrasser un jour des contraintes de la pesanteur…Comme celui de saint Thomas d’Aquin s’élevant dans les airs en contemplant la statue du Christ, ou celui de saint Dominique voletant comme un ballon dans un monastère à Castres… Mais ceux-là, comme tant d’autres religieux en lévitation, étaient animés d’une foi intense que je ne possède malheureusement pas. J’ai lu qu’au Moyen Âge en Occident, les sorcières se déplaçaient dans les airs en chevauchant un balai magique, qu’en Afrique, les sorciers traversaient la nuit en y laissant de petites traces de lumière rouge et qu’en Orient, les mages circulaient à hauteur des nuages sur des tapis volants. Mais ceux-là cultivaient des pouvoirs occultes, bien trop longs à acquérir. Nous autres, pauvres quidams, il ne nous reste que les taxis pour décoller du sol.

Chaises à porteurs, dans l’Égypte antique, en Perse, à Rome et jusqu’au XVIIe siècle en Europe, qui secouaient dans tous les sens, fiacres, tirés par un ou deux chevaux qui maculaient la chaussée et empuantissaient l’atmosphère, voitures-taxis qui ont envahi les villes jusqu’à les étouffer… Sans parler des motos-taxis, du zémidjan (« prends-moi vite ! ») béninois au bendskin (« penche-toi pour mieux t’accrocher ») camerounais, en passant par le boda-boda kényan (« border to border »)… Mais là, franchement, il faut s’agripper !

Et voilà que vient de naître un nouveau concept de transport, le taxi volant. Il s’agit d’une sorte de très gros drone s’élevant dans les airs à l’aide de dix-huit hélices et volant à près de 100 km/h à une altitude de 300 m… On s’y déplacera, confortablement installé, ignorant les embouteillages et admirant les monuments des villes et les paysages des campagnes. Les premiers modèles seront déployés à l’occasion des jeux Olympiques de 2024 à Paris, reliant en une quinzaine de minutes l’aéroport de Roissy au centre de la capitale. Tout le monde s’y est mis – Airbus, Safran, Dassault, Thales, Volocopter… Et le prototype, parfaitement abouti, a décollé de Pontoise le 10 novembre dernier.

C’est sans doute le transport qui se rapproche le plus du ventre de ma mère lorsqu’elle me portait, et ce jusqu’à la forme de la cabine, évidemment ovoïde. Il paraît que d’ici à 2035, il en circulera 60 000. Déjà se posent des problèmes insolubles. Saura-t-on organiser les couloirs, les routes aériennes ? Et tout cela au-dessus des grandes villes, dès lors couvertes du bourdonnement continu de dizaines de milliers de moteurs électriques. On aura l’impression d’être enfermé dans le ventre… d’un aspirateur. Quant au prix de la course, ne sera-t-il pas aussi élevé qu’une balade en chaise à porteurs dans l’Antiquité ?

À tout prendre, finalement, je préfère le tapis volant.

—> à lire ici

Interview à la RTBF

Le samedi 11 février, à la RTBF, avec Pascale Seys, dans La couleur des Idées

« Il n’y a aucune différence de nature entre les hommes, ce sont leurs objets, leurs langues, leurs rites qui sont différents »

Tobie Nathan (DR)

Ce samedi dans la couleur des idées, Pascale Seys reçoit le psychologue Tobie Nathan dont l’ouvrage Ethnomythologiques paru chez Stocks s’attache à décoder nos nouvelles pratiques liées au quotidien. À travers ce recueil, Tobie Nathan interroge le rapport que nous entretenons avec les nouveaux objets qui nous entourent. Que disent-ils de nous et de notre société ? Quel est leur sens caché ? Que cache l’expression « paiement sans contact » ? Que raconte le choix de porter des Havaïanas ou des Birkenstock ? L’usage de la gourde ? La mode des sneakers ? Le port du bleu de travail ? Voilà quelques-unes des questions auxquelles Tobie Nathan s’attache à répondre au micro de Pascale Seys.

Tobie Nathan est psychologue et a fait de l’ethnopsychiatrie son domaine de recherches, il a d’ailleurs fondé le premier centre d’ethnopsychiatrie en France : le Centre Georges Devereux à l’Université de Paris 8, dont le nom rend hommage à son maître, le psychanalyste et anthropologue franco-américain Georges Devereux, pionnier de cette discipline. De l’ethnopsychiatrie, Tobie Nathan nous dit qu’il s’agit d’une discipline qui consiste à étudier « les pensées savantes chez les peuples éloignés dans un domaine que nous Occidentaux appelons la psychiatrie, c’est-à-dire la manière dont nous soignons la folie ». Le principe consiste donc à étudier les façons de faire de ces peuples éloignés et leurs théories puis d’essayer de les comprendre et de les mettre en œuvre. L’apport de Tobie Nathan dans cette discipline consiste dans le fait d’appliquer ces pensées complexes qui viennent de loin à des populations immigrées qui viennent du même endroit. Il s’agit donc de les soigner à partir de leurs propres théories, dans leur propre langue et avec leurs propres objets.

Depuis toujours, le but de Tobie Nathan est de laisser la place à la complexité issue de la multiplicité des gens et de leurs univers. « Ne pas tenir compte de cette complexité, c’est se rendre aveugle et sourd » soutient Tobie Nathan. Il prend pour exemple un cas très célèbre d’un patient de Freud que le père de la psychanalyse a accompagné et dont la cure fut un échec : l’Homme aux loups, un patient russe dont le cas est au cœur de l’ouvrage Extraits de l’histoire d’une névrose infantile rédigé par Freud. Dans son livre, Freud ne dit pas quelle langue utilisait le patient lors des consultations, s’il parlait le russe, l’allemand, ou une autre langue, et donc quel monde il évoquait quand il parlait. Freud fait fi de cela, comme si l’univers dont il provenait, les gens qui l’avaient entouré, les religions dans lesquelles il avait baigné, n’avait pas d’importance… Un non-sens pour Tobie Nathan qui revendique le fait que nous sommes constitués par les choses qui nous entourent et auxquelles on doit s’adapter. Ainsi, Tobie Nathan partage la vision de George Devereux qui pensait qu’il y a plusieurs manières d’être fou puisque nos psychoses sont interdépendantes de la société dans laquelle nous sommes plongées.

Retrouvez ci-dessous l’intégralité de l’entretien mené par Pascale Seys

—> Ici