Dans La Libre Belgique du 31 mai 2010

Roman

Qui a tué Arlozoroff ?

Parmi les intimes d’Hitler figurait Magda Goebbels, femme depuis 1931 de son ministre de la Propagande et de l’information. Le lendemain du suicide du Führer (et de son épouse de quelques heures, Eva Braun, le 30 avril 1945, dans le bunker de la Chancellerie à Berlin), Magda G. fera empoisonner ses six enfants (elle en a eu sept) avant de se donner la mort avec son (infidèle) mari. Des ouvrages ont déjà été – entièrement ou partiellement – consacrés à cette fanatique « première dame du IIIe Reich », notamment « Les Femmes d’Hitler » de Guido Knopp et le « Magda Goebbels » d’Anja Klabunde. Enfant, Maria Magdalena (née le 11 novembre 1901) sera pensionnaire à Bruxelles, chez les ursulines à Vilvorde, et portera le nom juif de son beau-père, Friedländer. Adolescente, elle s’éprendra d’un jeune militant sioniste, Haïm Arlozoroff, qui serait peut-être devenu le premier président de l’Etat hébreu s’il n’avait été assassiné, à Tel-Aviv, le 16 juin 1933. Dans ce roman parfois étourdissant (septième de son auteur), où l’on traverse l’espace et le temps, Tobie Nathan (né au Caire en 1948, à qui l’on doit plusieurs ouvrages de psychologie et d’anthropologie) fournit une explication – fictive – à la mort de l’ancien amour de Mme Goebbels : c’est pour littéralement offrir « son » Juif à ce Führer qu’elle vénère (lui qui s’est juré de les exterminer jusqu’au dernier) qu’elle organise ce crime, cette sorte de « sacrifice ». Ce récit, bien construit, met donc en scène, principalement, une Allemande ambitieuse à l’extrême, qui incarnera l’ »Aryenne parfaite », qui avait pour elle beauté, intelligence et fortune (due à son richissime premier mari, l’industriel Günther Quandt) et qui voua une admiration éperdue à un Hitler qui, jusqu’à la veille de sa mort, ne se voulut d’autre épouse que l’Allemagne, mais que Magda Goebbels fascinait. Un romanlibrement inspiré de faits réels, qui risque de susciter la polémique, dont cette femme fatale – qui se prit pour une déesse d’enfer – est l’antihéroïne, aussi redoutable que laJuliette de Sade, la Merteuil des « Liaisons dangereuses » ou la Milady des « Trois mousquetaires ». Un personnage complexe, vénéneux, voulant se hisser au niveau des monstres qu’incendiait leur haine absolue des juifs, et dont le livre de Tobie Nathan propose un portrait sulfureux. (Fr.M.)

Tobie Nathan, Grasset, 426 pp., env. 20,90 €

Dans la moiteur d’une nuit d’été

TOBIE NATHAN
QUI A TUÉ ARLOZOROFF ?

PARIS

Premiers chapitres

Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays.

Il est des humains dont l’accouplement peut bouleverser l’ordre du monde.

Ceci est un roman librement inspiré de la vie de personnages historiques qui ont ébranlé leur temps et qui n’ont pas épargné le nôtre.

Jaffa-Tel-Aviv, la nuit du 16 juin 1933

On ne pouvait pas distinguer son ombre en cette nuit de juin. Les deux hommes étaient assis par terre, le dos contre le mur de l’hôpital. Le petit tenait entre ses cuisses une bouteille de zebib, de l’alcool fort au goût d’anis.
— Passe-moi la bouteille… Fawzi, allez, passe-moi la bouteille !
— Ya Ali ! Je te croyais musulman.
— Oui, mais ce que tu m’as appris m’a rendu fou. L’argent qu’ils t’ont promis… C’est vrai ?
— Au nom de Dieu, miséricordieux entre les miséricordieux, tout ce que je te dis, Ali, c’est exactement ce que l’homme et la femme m’ont promis.
— Ce n’est pas possible ! Mille guinées ? Tu imagines ce qu’on pourrait s’acheter avec mille livres ?
— Tu en auras seulement la moitié, ne rêve pas !
— Cinq cents, que Dieu les bénisse ! Et tu me dis que tu as parlé avec la femme…
— Ah ! Je te le jure sur la tête de mon fils, comme une princesse !
— Raconte !
— Que ta mère soit maudite à me poser mille et une questions, fils de pute ! Je te l’ai dit : comme une princesse ! Ça veut dire avec des bijoux, des cheveux jaunes, et un sac…

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Je rêve d’une psychothérapie…

“Je rêve d’une psychothérapie compatible avec le monde comme il va : un monde ouvert, polyglotte, polythéiste, cosmopolite, riche d’êtres et de choses qui entendent ne pas disparaître.

Je rêve d’une psychothérapie qui saurait intégrer les familles, les experts, qu’ils proviennent de la profession “psy” ou d’autres disciplines, les divinités – notamment celles des autres -, les invisibles, les objets thérapeutiques.

Je rêve d’une psychothérapie acceptant de transformer réellement l’espace de consultation en un lieu de débat contradictoire, comme l’est la scène publique.

Je rêve d’une psychothérapie qui inclue des témoins, des étrangers, qui institue des vigilances pour se protéger des abus.

Je rêve d’une psychothérapie qui, en admettant la modernité dans sa complexité, n’a pas oublié les leçons de l’histoire, qui se souvient des communautés d’autrefois où l’efficacité était évaluée pas ses usagers …

Je rêve d’une psychothérapie qui ne serait plus sidérée devant la psychanalyse , qui accepterait de penser à des mots disparus : “oublier”, par exemple.., qui saurait décrire son action en termes de “concertation”, de “conciliation”, de “négociation” et de “diplomatie”.., une psychothérapie, enfin, qui ne feindrait plus d’ignorer qu’elle est thérapeutique, précisément parce qu’elle est sociale, parce qu’elle est politique.” Tobie Nathan

Extrait de l’Introduction à La guerre des Psy. Manifeste pour une psychothérapie démocratique. Paris, Le Seuil, Les empêcheurs de penser en rond, 2006. Sous la direction de Tobie Nathan.

une recension de « Qui a tué Arlozoroff » par Jacques Benillouche

sur son blog : Temps et Contretemps
Il était difficile à Tobie Nathan de quitter son poste de conseiller culturel à l’Ambassade de France à Tel-Aviv, durant cinq ans, sans y laisser une trace tangible de sa mission diplomatique. Il savait charmer son auditoire à chacune de ses interventions et, avec son dernier roman, il renoue les liens avec ceux qui le liront après avoir aimé l’écouter. Il a réalisé une performance à la fois d’historien et de romancier car « Qui a tué Arlozoroff » est avant tout un thriller, se déroulant à Tel-Aviv et mêlant l’Histoire et le suspense, dont les ramifications se retrouvent en Europe à l’heure où les juifs se battaient pour leur survie et Israël pour sa création.

Peu de jeunes israéliens connaissent l’histoire de Haïm Arlozoroff et la seule réponse consisterait pour eux à dire qu’il s’agit du nom d’une grande artère de Tel-Aviv ou celui d’une sortie du périphérique. Grand socialiste progressiste, gauchiste dans la terminologie moderne, sorte de ministre des affaires étrangères avant la création de l’Etat, il aurait pu être leader à la place de David Ben Gourion. Il avait créé, le premier, le concept de deux peuples sur une même terre dans une sorte de théorie d’Etat binational avant l’heure mais il a dû par la suite déchanter. Le Foyer National devait, selon lui, intégrer « la politique d’une compréhension mutuelle entre les deux peuples ». Il avait négocié des accords « de transfert » avec le gouvernement nazi consistant à permettre l’immigration organisée de Juifs allemands en Israël mais les révisionnistes de droite mirent tout leur poids pour faire capoter le projet.

L’auteur ne se borne pas à des considérations politiques puisqu’un roman ne se conçoit pas sans une histoire d’amour tumultueuse. Il nous conte alors, à sa manière truculente, la passion amoureuse de Magda Goebbels, devenue croqueuse d’hommes par déception amoureuse, éprise de ce juif russe Arlozoroff alors que, allemande et fille adoptive de juif, elle devait par la suite épouser le théoricien de la propagande nazie.
L’assassinat d’Arlozoroff nous conduira progressivement à un puzzle que le lecteur reconstituera au fil des pages car plusieurs officines avaient intérêt à éliminer cet intellectuel politique juif, trop en avance sur son temps. Plusieurs hypothèses sur le commanditaire du meurtre avaient été échafaudées mais le doute plane encore et le secret reste bien gardé dans les mémoires israéliennes.

Ce roman, d’une écriture fluide et recherchée, se lit d’une traite tant le lecteur est absorbé par une histoire qui oscille sans cesse entre réalité et fiction. L’auteur en profite pour faire œuvre d’historien car la création d’Israël a été peu contée par les auteurs français. Les amoureux de vraie littérature auront le double plaisir de s’informer sur une période dramatique juive tout en accompagnant leur détente au soleil, cet été, au bord de la plage de Tel-Aviv, où Tobie Nathan a planté son décor, non loin de l’Ambassade de France.

Grasset tient certainement un candidat sérieux à un prix prestigieux à moins que le roman ne fasse l’objet d’un film qui lui donnera son envol. D’ailleurs l’auteur laisse transpirer dans son récit l’ébauche d’un scénario dramatique où les scènes sont déjà découpées pour donner au film toute son intensité dramatique. La psychanalyse mène à tout, à la diplomatie certes, mais aussi à la littérature de qualité.

Le 16 mai 2010

une critique de « qui a tué Arlozoroff »

« Nathan le pas sage
Qui a tué Arlozoroff ? Tobie Nathan mène l’enquête »
par Luc Rosenzweig

Inutile de biaiser, comme dirait Marie-Paule Belle, je connais Tobie Nathan, je l’ai même rencontré à plusieurs reprises, ces dernières années, lorsqu’il était conseiller culturel à Tel Aviv. Il s’affairait à édifier le magnifique Institut français qui se dresse aujourd’hui fièrement à l’angle du boulevards Rothschild et de la rue Herzl. C’est un immeuble Art Déco des années trente du siècle dernier, classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, rénové avec toute la passion esthétique qu’un homme de goût peut investir dans un édifice dont la République peut aujourd’hui être fière.

Cet hommage quelque peu grandiloquent, je le concède, au “petit cultureux binoclard à nœud pap’” – c’est ainsi qu’il se met en scène dans son dernier roman…

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Qui a tué Arlozoroff ?

Le nouveau roman de Tobie Nathan

aux Éditions Grasset

L’un des personnages est Magda Goebbels, un autre, Haïm Arlozoroff. La première est allemande et catholique, l’autre russe et juif ; tous deux emportés dans une même passion amoureuse, aussi intense qu’impossible. Il y a aussi Joseph Goebbels, l’inventeur de la propagande nazie, complexé par sa difformité physique qu’il essaie de compenser par la multiplication de ses aventures sexuelles et Gunther Quandt, chevalier d’industrie, créateur d’un véritable empire qui a survécu jusqu’à nos jours ; et quelques autres encore…

Un roman qui raconte l’irrésistible ascension de la petite Magda, une jeune fille simple, issue d’une relation adultérine, qui portera le nom du mari juif de sa mère : Friedlander. Une jeune femme qui conçut le désir fou de devenir la déesse d’une nation et qui le devint un peu… Qui sait aujourd’hui que l’épouse de celui que l’on surnommera « le bouc » ou « le diable », Joseph Goebbels, de sinistre mémoire, a d’abord découvert l’amour avec l’un des princes du sionisme d’extrême gauche ?

C’est le roman d’un amour incroyable, d’une passion brûlante, charnelle d’abord, politique ensuite entre deux êtres radicalement étrangers, comme le jour et la nuit, comme l’eau et le feu – Magda et Arlozoroff.

1933 — Un roman qui se déroule au moment de la fondation de deux états que tout oppose – l’un ne pouvant exister qu’à condition que l’autre disparaisse. Un État nazi contre un État juif, car les Nazis, obsédés par les Juifs, comme s’ils avaient adhéré au mythe de leur élection, n’eurent de cesse que de les anéantir, comme si leur propre existence découlait du massacre des Juifs.

Un roman qui résout enfin un détail de l’histoire, jusqu’à ce jour inexpliqué : pourquoi l’assassin d’Arlozoroff lui a demandé dans un mauvais hébreu « quelle heure il est ? » — « kama sha’a ? » — juste avant de l’abattre de deux coups de revolver, ce fameux soir de juin 1933 sur la plage de Tel Aviv.

Qui a tué Arlozoroff, c’est aussi un roman qui se passe aujourd’hui à Tel Aviv du côté de Sderot Ben Gourion, de Frishman et du Shouk Hacarmel. C’est l’histoire du meurtre d’un vieil homosexuel, survivant des camps où enfant, il servit d’objet sexuel aux pédophiles SS pour survivre et qui est abattu, 75 ans après Arlozoroff, dans les jardins de la résidence de l’Ambassadeur de France à Jaffa. C’est enfin l’histoire d’un journaliste grand reporter d’un quotidien français, maltraité par son rédacteur en chef, qui part mener l’enquête en Israël.

en librairie le 12 mai 2010