Nos ancêtres les Germains…

à propos du livre de Laurent Olivier paru aux éditions Tallandier en août 2012

Laurent Olivier, conservateur en chef du Patrimoine en charge des collections celtiques et gauloises au Musée d’Archéologie Nationale de Saint-Germain-en-Laye, publie un étude passionnante sur le rôle de l’archéologie dans la construction de l’idéologie nazie. On est sidéré d’apprendre que 90% des archéologues allemands étaient membres du NSDAP, le parti nazi. On se demande seulement quelle était la vie intellectuelle des 10% restants. L’on apprend que dès les premières années du pouvoir nazi, les archéologues allemands se rendaient sur les sites européens pour fabriquer de la science « utile » au pouvoir.

Il est vrai que l’archéologie est un domaine sensible. Les pouvoirs lui ont souvent demandé de justifier l’occupation des sols. Mais le nazisme avait exigé bien plus encore. Un projet de recherche, financé par l’état devait aboutir à démontrer que les terres que l’Allemagne nazie envisageait de coloniser avaient été des terres germaniques depuis la préhistoire. En France occupée, la recherche nazie — et cela, on le sait d’autant moins que les archives ont été soigneusement cachées ! — a trouvé des auxiliaires dévoués et souvent enthousiastes dans les archéologues français de l’époque. Ils considéraient qu’ils levaient « le voile d’ombre qui recouvre l’ancienne histoire germanique de notre pays »… Le silence et la disparition des archives s’explique par le fait que beaucoup parmi ces jeunes chercheurs ont poursuivi de brillantes carrières en France après guerre.

statue en bronze de chef gaulois – commande de Napoléon III en 1864. Musée d’archéologie de Saint-Germain-en-Laye

Ce livre soulève des problèmes fondamentaux qui ne se limitent pas à la seule archéologie. Même si aucun archéologue sérieux ne prétend plus découvrir une origine, la tentation est grande d’assimiler le passé lointain, reconstitué à l’occasion de fouilles à la source d’un peuple ou d’une civilisation. Ce serait sans conséquence si l’on n’assimilait l’antériorité et la légitimité. Je serais légitime du fait que mes ancêtres — quels ancêtres ? — seraient antérieurs aux tiens sur cette terre, dans cette connaissance, dans cet art… comme si tous les peuples ne s’étaient inspirés les uns des autres, entre-empruntés techniques et divinités, entre-racontés mythes et récits édifiants… Mais voilà ! Le modèle de l’antériorité légitimante a la vie dure.

En ce domaine, il faut le reconnaître, les Nazis ont fait très fort en asservissant l’archéologie, en la sommant de justifier les délires d’expansion du dictateur. Et c’est la première remarque qui me semble mériter un arrêt, une réflexion. Les sciences humaines et sociales, plus sans doute que les autres sciences, sont susceptibles de fabriquer de l’idéologie politique. Maquillée en discours de vérité, dont elle a toutes les apparences, l’archéologie de l’Allemagne nazie était une propagande susceptible d’emporter l’adhésion des foules. Elle a fractionné la France, selon ses intérêts politiques en régions allemandes (Alsace, Lorainne, Franche Comté), susceptibles de le devenir (Bretagne, Corse, Bourgogne) et en régions bonnes à coloniser — c’est-à-dire à vider de ses habitants non-germaniques.

Et l’on s’étonne devant le peu de résistance du milieu universitaire — et cela, non seulement en Allemagne, mais aussi en France. Le plus saisissant, sans doute, dans ce livre, est la façon dont on a repris des données archéologiques plus ou moins fantaisistes pour justifier la collaboration :

« La Gaule accepta sa défaite : Jules César apporta la paix romaine ; vainqueurs et vaincus s’entendirent et de ce grand choc naquit la civilisation gallo-romaine qui nous a fait ce que nous sommes. Nous nous retrouvons parès deux millénaires dans la même position que les Gaulois nos pères, et nous souhaitons de tout cœur que, de l’accord des vainqueurs et des vaincus, naisse enfin la paix européenne qui seule peut sauver le monde » Pierre Gaziot, Ministre de l’agriculture, discours du 19 janvier 1941

On a bien compris : tout comme la défaite des Gaulois a donné la civilisation gallo-romaine, la défaite de la France débouchera sur une nouvelle civilisation européenne… Gloup’s !

4) L’archéologie est restée marquée par cette tension et il me semble que cela provient du fait que la science ne sait plus distinguer le passé du mythe des origines. Une scène incroyable, on s’en souvient, lorsque des anthropologues et des archéologues ont expliqué aux Indiens d’Amérique qu’ils venaient d’Asie, de Sibérie, après avoir traversé le détroit de Behring et que, pour le fond, ils étaient des migrants au même titre que les Blancs américains, arrivés une cinquantaine de milliers d’années plus tard. Et qu’on répondu les Indiens ? Vous racontez n’importe quoi ! ont-ils répondu aux savants. Nous ne venons ni de Sibérie ni de nulle part, nous sommes nés de la terre même, comme des arbres… De même je me souviens avoir posé la question à un vieux sage au Bénin en lui demandant s’il connaissait ses ancêtres. Et il m’a répondu sans rire que son ancêtre était un crocodile.

Quelquefois, néanmoins, l’archéologie et ses découvertes les plus récentes, les plus étayées, partagées dans des congrès internationaux, soumises au discours critiques des pairs ont un effet inverse, contraignant certains peuples à réviser leur mythe des origines. Ainsi en est-il par exemple de la Sortie d’Égypte et de la conquête de Canaan. Il s’agit du mythe expliquant l’origine du peuple juif, tiré de l’esclavage par Moïse et traversant le désert pour rejoindre la terre promise. Les travaux des archéologues modernes, et notamment ceux de Israël Finkelstein, démontrent sans contestation possible que les Juifs ne sont pas sortis d’Egypte pour la bonne raison qu’ils étaient cananéens et qu’il n’y a jamais eu de sortie d’Égypte ni de conquête de Canaan. Alors ? Tenir le mythe coûte que coûte ? S’il s’agit de « mon ancêtre est un crocodile », c’est encore possible, mais s’il s’agit de « la sortie d’Egypte a eu lieu au 13è siècle av JC, alors là, ce n’est plus possible…

à lire !

TN

on peut écouter l’émission sur France-Culture ici <—

2 réflexions sur “Nos ancêtres les Germains…

  1. L’embryon humain passe par un stade « reptilien » trace archéologique de ses origines
    Il en sort pour devenir Homme, et non pas oiseau
    Je faillis louper la sortie et devenir Gypaète Barbu … à défaut d’Horus
    Les mythes se sauvent, pour preuve nous les suivons à la trace.
    L’erreur est de les croire immobiles.

  2. Pingback: Que nous apporte l’archéologie à la question des origines ? | carnets vagabonds

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