en librairie depuis le 12 septembre
Tobie Nathan
Ethno-Roman
aux éditions Grasset
Présentation de l’éditeur

Le Livre de Poche 2016
Universitaire, ethnologue, diplomate, Tobie Nathan est, d’abord un intellectuel né au sein d’une vieille famille juive égyptienne. Il a exercé des fonctions de Conseiller culturel en Israël et en Guinée, après avoir collaboré au Centre de consultations ethnopsychiatriques de l’hôpital Avicenne de Bobigny. Tobie Nathan a publié de nombreux ouvrages, fruit de son expérience au Centre Georges Devereux qu’il a fondé en 1993 – dont La nouvelle interprétation des rêves ou Psychanalyse païenne. il est également l’auteur de romans policiers (aux éditions Rivages). En 2010, il a publié chez Grasset Qui a tué Arlozoroff ?
Je m’appelle Tobie Nathan
En vérité, je suis né après ma naissance. La France, mon pays, j’y suis arrivé un peu tard, en 1958 — comme de Gaulle au pouvoir — déjà âgé de dix ans, déjà fabriqué, pour ainsi dire. Les Français sortaient de la guerre ; nous sortions d’Égypte, arrivés tout droit de l’antiquité. Je ne comprenais pas l’ambiance, de tristesse et de plainte qui régnait alors en France. Mes parents n’avaient été ni déportés, ni collabos, ni bofs ; et certainement pas de ces moutons que raillait le Général. Mes parents venaient d’ailleurs et restaient imprégnés des préoccupations de ce monde lointain. Ils lisaient le journal, non pour connaître le prix du beurre, mais pour avoir des nouvelles de Krouchtchev ou de Boulganine parce que c’étaient eux, les dirigeants soviétiques, qui avaient été à l’origine de leur expulsion d’Égypte, en menaçant les Français et les Anglais durant l’affaire de Suez.
Quand je suis arrivé en France, chacun n’avait qu’une idée en tête, régler les comptes de la guerre. Nous autres, Français, je l’ai compris depuis, sommes éternels opiniâtres de nos raisons… raison d’avoir été pétainiste, raison d’être communiste, raison d’être pacifiste… en ces temps, il y avait encore de tout !…
J’ai eu vingt ans en 68, à Paris. J’étais étudiant en sociologie à la Sorbonne. Le matin, je prenais le train, en Gare de Garges-Sarcelles. En hiver, il faisait un froid glacial sur ce quai où déambulaient des âmes en maraude. J’aimais ce vieux manteau qui avait appartenu à mon frère en Égypte. C’était ma coquetterie. J’enfonçais une casquette de tweed jusqu’aux oreilles et m’enroulais le nez dans une longue écharpe noire. Elle prenait le même train. Elle se rendait aussi à la Sorbonne où elle étudiait la littérature anglaise. Elle avait une tête de dessin animé, des yeux tout ronds, un bonnet de laine à pompon et le nez rougi par le froid. Elle trimballait partout un énorme nounours blanc, dans le train, à l’université, au bistrot — un nounours qu’elle reniflait sans cesse en lisant Shakespeare. Nous grimpions dans le même wagon. Nous nous regardions, sans nous parler, chacun pressentant chez l’autre une même inquiétude à vivre. Elle habitait Sarcelles, le noyau de la ville, la fondation ; j’habitais Garges-lès-Gonesse, la cité des paumés. Un soir d’hiver, avec mes philosophes de nuit, nous déambulions, d’amis en amis, d’appartement en appartement, de verre de whisky bon marché en verre de vin chaud. Nous avions faim de pensée et d’aventures. Nous avons fini par atterrir chez elle. Nous nous sommes regardés, souris, reconnus. Le train du matin, la casquette de tweed, le nounours blanc…
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Bonjour
Votre livre sera-t-il traduit en Allemand ?
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