Dans « Les Lectures d’Eve »

« Et si c’était une nuit » de Tobie Nathan

LE  PAR EVE-YESHÉ DANS LITTÉRATURE FRANÇAISERENTRÉE LITTÉRAIRE1 COMMENTAIRE

J’ai beaucoup aimé deux de ses précédents romans : « La société des belles personnes » et « L’évangile selon Youri » alors quand Tobie Nathan m’a proposé son dernier roman, je n’ai pas hésité une demi-seconde :

Ce que j’en pense

L’auteur :

Ethnopsychiatre disciple de Georges Devereux, professeur de psychologie, ex-diplomate, Tobie Nathan est également essayiste et romancier. Il a publié, entre autres, La Nouvelle Interprétation des rêves(Odile Jacob, 2011), Ethno-roman(Grasset, 2012), prix Femina de l’essai, et chez Stock, Ce pays qui te ressembleL’Évangile selon Youri, la Société des Belles Personnes et Ethnomythologiques.

Commentaire

Ce roman nous raconte une nuit dans la vie du héros, Tobie, qui circule à mobylette dans les rues de Pris, slalomant entre les barricades, narguant au passage des CRS, (l’un d’eux le traitera de « jeune con » au passage). Nous sommes le 10 mai 1968 et les évènements de mai débutent.
Tobie se cherche, il est en deuxième année de fac, maoïste convaincu, du moins le pense-t-il, et il nous entraîne au fil des pérégrinations, à rencontrer toutes les personnes qui ont fait mai 68, en particulier Dany Cohn-Bendit mais beaucoup d’autres, avec les réunions houleuses, les joutes verbales entre maoïstes, communistes de tous bords, alors persuadés de détenir la Vérité, la seule ce qui les rend bien sûr intolérants aux idées des autres.

Durant cette nuit agitée, on visitera à sa suite la Sorbonne occupée, le quartier latin, (comme plus tard l’occupation du théâtre de l’Odéon ou des usines) … il tombe sur un couple plongé en plein ébat sexuel, (qui se terminera mal pour l’un des deux) …

Le héros s’appelle Tobie, comme l’auteur, mais on se rend vite compte que ce n’est pas vraiment de lui qu’il s’agit, un peu comme un adulte parlant du jeune homme qu’il fut, avec la sagesse de la maturité, peut-être tout simplement parce que j’ai du mal en imaginer l’ethnopsychiatre reconnu en maoïste, sur la mobylette ou la guitare à la main comme sur la couverture par contre tout à fait…
J’ai aimé me plonger dans cette nuit de folie, au cours de laquelle on va retomber sur une vieille connaissance : Zohar dont on a connu l’histoire dans les romans précédents ainsi que celle qu’il appelle « La Libyenne »,dont on se demande si elle est ou non, une illusion, avec un retour sur l’exode de la famille de Tobie sommée comme tous les Juifs de quitter l’Égypte sous l’ère de Nasser, via l’Italie, car il était plus facile d’obtenir un passeport de nationalité italienne pour fuir.

« Ma mère restait définitivement d’ailleurs. Si elle avait bien quitté l’Égypte en février 1957, elle n’était jamais arrivée en France. Elle devait être restée coincée, entre la Crète et le détroit de Messine, en pleine mer Ionienne.« 

J’ai aimé la manière dont l’auteur parle de l’exil, de l’émigration, de sa mère brisée qui est devenu le fantôme d’elle-même, comme si une partie de son être était restée sur sa terre natale. J’ai fait la connaissance de Zohar avec « La société des belles personnes » que j’ai adoré, et avec son entrée en scène, ici, j’ai retrouvé les talents de conteur de Tobie Nathan : il raconte Mai 68 comme si on était dans les « Mille et une nuits », on a l’impression de faire partie du voyage, que ce soit sur la mobylette ou sur un tapis volant.

Un clin d’œil au passage à la conférence d’un vieux professeur Mathias Robert, helléniste, qui se fait chahuter : parler de Socrate et critiquer le régime soviétique dont on connaît les exactions devant des étudiants communistes de tous bords c’était courageux voire téméraire, même flanqués de deux gardes du corps !

Ce récit me tentait car, j’ai vécu Mai 68, au fond de ma province, en terminale, lycée de filles, avec les yeux rivés sur le bac, avec une conscience politique encore très larvaire, et de ce fait je n’ai pas vécu la même chose : l’effervescence n’était pas la même, et la différence entre lycée et université (deux ans d’écart seulement mais en fait tout un monde) était importante à l’époque et rétrospectivement l’impression d’être passée à côté de quelque chose.

Ce roman est d’une grande richesse, par les sujets abordés, par l’écriture, avec Freud et la psychanalyse en toile de fond, et ma chronique ne lui rend pas vraiment hommage, car quand un livre me touche j’ai dû mal synthétiser, et pourtant je planche depuis quinze jours… j’espère avoir été convaincante !

Je remercie chaleureusement Tobie Nathan qui m’a proposé gentiment son roman en PDF, ce qui m’a valu quelques péripéties pour le savourer : je suis incapable de lire sur un ordinateur, sur ma liseuse je perdais mes citations et notes, donc je l’ai transformé en version e-pub (merci Calibre au passage), un livre qui se mérite !

Ce livre peut se lire, même si on n’a pas lu « La société des belles personnes » ou « Ce pays qui te ressemble » qui m’attend toujours dans ma PAL, dans ma liseuse même…

Extraits :

 » En ce temps-là, j’étais comme un chien fou. Non pas que j’avais la rage, non, mais je ne savais ni qui, ni quoi, ni pourquoi, ni comment. Ni qui j’étais, ni ce que j’étais, ni quelle était la finalité de mon existence, ni quel chemin je devais emprunter. Alors, je questionnais le monde. Je le secouais parfois, pour le contraindre à répondre. Et j’ai entendu derrière mon dos : « Petit con d’étudiant ! »« 

« Il a toujours fait ça, Dany. Lorsqu’au Jugement dernier il se retrouvera devant Dieu, il le tutoiera et lui crachera au visage. « Où étais-tu planqué durant la Shoah ? » lui demandera-t-il. En d’autres temps, sous d’autres cieux, un gosse pareil, on l’aurait conduit en brousse ; on l’aurait assis par terre en présence des vieux pour lui signifier qu’on comprenait qu’il voulait devenir un chef, mais qu’il lui fallait d’abord endurcir sa peau, changer ses os, s’immerger durant des heures, en pleine nuit, dans le marigot…« 

« Moi, je détestais déjà les groupes, encore plus les foules, quelque chose d’instinctif, d’atavique, peut-être. Je gardais un vague souvenir des foules hurlantes d’islamistes détruisant tout sur leur passage lors de l’incendie du Caire en 1952.« 

« Au fond, je me situais aux antipodes des idées de mon groupe de maos. Pour moi, la masse n’était pas sacrée ; à mes yeux elle restait cet énorme animal gluant, au mieux amorphe, souvent dément. Sans doute, imprégnés dans les strates de ma mémoire, s’agitaient encore les souvenirs de la foule égyptienne déchaînée déferlant dans les rues du Caire, incendiant, pillant, tuant à coups de bâtons et de barres de fer de malheureux passants qui avaient la peau trop blanche ou la malchance d’être vêtus d’un costume européen ce jour-là.« 

« En Égypte, entre 1870 et 1900, les Juifs les moins démunis, las des humiliations quotidiennes, avaient saisi l’opportunité des « capitulations », régime qui conférait des droits particuliers aux étrangers, pour acquérir des nationalités européennes. Ma famille, tant la branche paternelle que maternelle, avait acheté la nationalité italienne.« 

« J’étais un révolté, je me voulais pur, jusqu’à ignorer les motifs de ma révolte. Je n’avais besoin d’aucun alibi littéraire ou philosophique. Pour moi, la révolte devait s’exprimer en face, comme une colère qui ne s’éteint pas…« 

« Le nouveau pharaon, le séduisant Nasser, le dictateur au sourire de panthère, n’avait eu aucun respect pour Joseph, mon père, Il lui avait expédié sa soldatesque et l’avait banni de son pays natal. Et nous sommes sortis d’Égypte sans un sou, nus comme des vers. Ma mère a été brisée par l’exil. »

« Si j’étais un véritable écrivain, je chercherais à écrire une de ces chansons qui pénètrent le cerveau, s’emparent des âmes et s’échappent des lèvres. Pour moi la création de ritournelles est le sommet indépassable de la littérature.« 

« Un étranger, si lointain et si proche, quelqu’un dont on attend la révélation des secrets… Car c’est cela, un étranger, celui dont on attend la révélation des secrets.« 

« Dans ses cours, Mathias nous expliquait, en déclinant les exemples piochés tant chez les Grecs de l’Antiquité que chez les Indiens d’Amérique, qui l’idéologie avait exactement la même fonction que la drogue…« 

par Eve-Yéshé

Dans l’Obs

Par Claire Julliard

L’Obs n° 3076 du 14 au 20 septembre 2023

_________________________________________________________

Le Livre de Tobie

L’ethnopsychiatre Tobie Nathan raconte sa nuit des barricades, en 1968, qui fut celle de son destin.

Tobie Nathan (DR)

La nuit des barricades, du 10 au 11 mai 1968, qui fit passer les manifestations à un mouvement d’ampleur, marque un tournant dans les fameux « événements ». Tobie, le narrateur, l’appelle sa « nuit du destin », comme dans la tradition musulmane. Durant ces heures brûlantes qu’il retrace avec une précision passionnée, il fit deux rencontres marquantes. L’étudiant en sociologie circule alors en Mobylette entre émeutiers et CRS. Maoïste en rupture de ban, « étranger dans un pays étrange », il se défie de la violence.

La mémoire de ce juif d’Égypte expatrié reste imprégnée par l’image des foules déchaînées dans les rues du Caire. Des hurlements antisémites ont présidé à sa naissance en 1948. Expulsés par les sbires de Nasser quelques années plus tard, ses parents ont trouvé refuge en France. Tout comme Zohar, l’autre Egyptien qu’il percute ce soir-là au quartier Latin. Cet être énigmatique le suit comme un guide protecteur en citant des passages du Livre de Tobie de la Bible. Réfugié dans l’Ecole normale de la rue d’Ulm, le héros entend une voix dans l’obscurité. Vêtue comme les femmes du désert, celle qu’il appellera « la Bédouine » émerge de l’ombre et semble tout savoir de lui. Il croise encore Bandido, l’anar érudit, et Mathias Robert, l’universitaire roumain à la moralité douteuse.

Son grand roman fiévreux recrée l’effervescence d’une époque souvent mythifiée et ses lendemains pas toujours chantants. L’écrivain aborde cette dérive, la tentation terroriste qui en découla, à travers le personnage d’Ulrich, un membre de la bande à Baader. L’auteur de « la Société des belles personnes » dont il reprend certaines figures, mêle personnages réels et fictifs, grande histoire et conte oriental. Un roman captivant, qui laisse à réfléchir sur l’actualité récente.

Ethnopsychiatre, Tobie Nathan est l’auteur d’essais et de romans, dont « Ce pays qui te ressemble » (2015), vendu à 75 000 exemplaires, et « la Société des belles personnes » (20 000 ex.). « Et si c’était une nuit » a été tiré à 12 000.

Et si c’était une nuit, de Tobie Nathan, Stock, 396 p., 22 euros.

« J’étais enceinte de ma grand-mère… »

sur Akadem

accueil d’Olivia Elkaïm pour parler de son livre

Fille de Tunis

4ème de couv. :

Olivia Elkaim, Fille de Tunis, Stock.

« D’elle, il me reste un foulard bleu, une bouteille vide de son parfum et ce cliché sépia, conservé dans un cadre rouge : la vingtaine resplendissante, chignon laqué, bustier soulignant le galbe de sa poitrine, Arlette trône sur la cheminée de mon salon. Mais je ne sais presque rien d’elle, quelques dates, mes souvenirs d’enfance. Je fouille ma mémoire, gratte le passé. Comment la saisir, elle qui ne s’est jamais laissé attraper par personne ? »

Entre Tunis et Marseille, Olivia Elkaim nous entraîne dans le sillage de sa grand-mère maternelle, une femme libre et magnétique au destin percuté par la guerre, la décolonisation et l’exil, dont elle livre un portrait incandescent.

À visionner ici :

présentée par Tobie Nathan

Dans le Figaro

Tobie Nathan au coeur de la nuit

par Bruno Corty

CRITIQUE

Magicien,Tobie Nathan a l’art
d’envoûter son lecteur.
P. NORMAND/LEEXTRA VIA OPALE.PHOTO

Le récit enlevé, baroque, des événements de Mai 68 vus par un étudiant juif égyptien maoïste.

Il y a trente ans, Tobie Nathan, ethnopsychiatre, entamait une carrière d’écrivain avec un talent de conteur singulier. Son premier livre, Saraka bô, était un polar peu conventionnel, ambitieux, puisque prenant modèle sur le Quatuor d’Alexandriede Durrell. Nathan y mettait en scène un ex-professeur de philosophie devenu terroriste par amour, emporté par les remous de la chute du mur de Berlin, un psychanalyste dont la spécialité était le travail clinique auprès des patients migrants, un commissaire de police intello à la vie sentimentale chargée et un «serial killer» enragé, massacrant à tour de bras les femmes à Neuilly-sur-Seine… Quatre autres polars suivront avant que l’auteur, ayant fait ses gammes, ne se lance dans le «roman roman».

Avec Ce pays qui te ressemble et La Société des belles personnes, il s’attachait à évoquer l’histoire dramatique des Juifs d’Égypte au XXe siècle, leur persécution, leur expulsion, leur exil. Présent dans ces deux romans, Zohar, un homme en quête de vengeance réapparaît dans Et si c’était une nuit. Avec une Bédouine qui se prétend la mère du narrateur, Tobie, étudiant juif égyptien réfugié avec sa famille à Gennevilliers, Zohar surgit dans l’histoire dès que notre héros se trouve en fâcheuse posture, c’est-à-dire, souvent!

«Étranger dans un pays étrange»

Il n’est pas simple de vivre «étranger dans un pays étrange», la France, en 1968, au moment où sa jeunesse se soulève. Le jeune Tobie, de Nanterre à la rue d’Ulm, accumule les mauvaises rencontres: des CRS qui le poursuivent, un professeur sadomaso forniquant dans son bureau de Normal Sup, des «Palestoches», des «Teutons flingueurs»… Comment qualifier cette ambiance, à la fois de fête et de terreur? Une heure dans cette assemblée générale et vous aviez un mal de tête à vous exploser le tympan ; le bruit, bien sûr, le chaos aussi, et puis un sentiment de danger qui planait au-dessus de nos têtes.» Tobie trouve le réconfort dans l’amour, la beauté des femmes qui l’initient au sexe. Hier, la peu farouche Daniela ; aujourd’hui, Betsy, Michèle, la tante Henriette qui fait l’amour en écoutant Ferrat chanter Aragon.

ET Sl C’ÉTAIT
UNE NUIT
De Tobie Nathan,
Stock,
400 p, 22 €.

Un roman d’apprentissage

Le roman avance à un rythme effréné, on passe des CRS au CNRS et à d’ex-SS, de la Sorbonne au Paraguay, de la rue Farouk, au Caire, à Gennevilliers, de Nasser à «Dany le Rouge» en passant par Marx, Freud, Konrad Lorenz, de l’ethnologie à la psychanalyse… Et Tobie, ballotté dans ce tourbillon de la vie, chutant, se relevant, hypnotisé, envoûté, marabouté, est sans cesse ramené à ses origines, à l’exil, au devoir sacré d’honorer ses ancêtres. «Ce sont eux qui t’ont sauvé de l’errance, de la maladie et de la mort, lors de cette fameuse nuit où nous nous sommes revus», lui lance sa Bédouine fantôme.

Dopamine Détox : faut-il moraliser notre cerveau ?

Tobie Nathan publié le 15 août 2023 

Cette diète numérique promet aux jeunes accros aux réseaux sociaux de décrocher en les privant de dopamine, l’« hormone du plaisir ». Mais suffit-il d’une injonction pour mettre fin à nos addictions ?

Réflexe d’ex-soixante-huitard peut-être, je suis inquiet devant cette mode enflant sur Internet, qui conseille de réduire la dose de dopamine reçue par notre cerveau. Pour cela, il faudrait s’interdire ce qui procure le plus de plaisir : l’alcool, le tabac et le joint pour commencer, et, surtout, les réseaux sociaux – Facebook, Instagram, WhatsApp, TikTok, Twitter, Tinder… Un mot d’ordre : Dopamine Détox ! Coupez votre portable un jour, une semaine… mieux, un mois, un an si vous en avez le courage… Et vous verrez revenir votre motivation et votre capacité de…

La suite dans :